
Lors de l’émission «Le Déshonneur» diffusée par la chaine de télévision publique Canal Algérie, experts et historiens sont revenu sur les crimes de guerres perpétrés par la France en Algérie.
Par G. Salah Eddine
«La colonisation est une négation systématisée de l’autre, une décision forcenée de refuser à l’autre tout attribut d’humanité », écrivait Frantz Fanon. Ces mots résonnent encore avec acuité lorsqu’on se penche sur la colonisation française en Algérie Cette colonisation, cette inhumanité commencée en 1830, a marqué l’histoire d’un peuple par des actes d’une violence systématique, allant bien au-delà d’une simple occupation. Malgré les efforts de certains cercles «exclus» pour glorifier ou minimiser cette période sombre, les faits demeurent incontestables : des crimes de masse, des spoliations et une volonté manifeste d’extermination culturelle et physique ont laissé des cicatrices profondes dans la mémoire collective des Algériens.
Une colonisation fondée sur la violence
Dès le début, la colonisation s’est imposée par la force. Le docteur Idir Hashi, maître de recherche au Crasc, a rappelé : «Dès 1808, Napoléon avait envoyé un colonel pour cartographier Alger et préparer l’invasion.» En 1830, un régiment de 37 000 soldats français a débarqué, marquant le début d’un règne brutal.
Cette violence s’est manifestée par des massacres, comme celui de Boufarik le 29 juin 1830, où des villageois ont été égorgés, ou encore celui de Blida le 26 novembre 1830, sur ordre du général Clauzel.
Ces massacres n’étaient pas des actes isolés.
«Les enfumades du Dahra, réalisées en 1845 par le général Pélissier, sont un exemple glaçant des méthodes génocidaires utilisées», a précisé le journaliste Amin Nebache. Ces actes consistaient à enfumer des populations civiles réfugiées dans des grottes, provoquant des morts atroces. Ces pratiques, loin d’être condamnées, ont souvent été promues par les autorités coloniales.
Une exploitation économique et culturelle méthodique
En plus de la violence physique, les colons ont systématiquement spolié les terres et les biens des Algériens. Un arrêté du 7 décembre 1830 a permis la confiscation des biens des mosquées et des dotations pieuses. «Les terres algériennes ont été considérées comme terra nullius, des terres sans propriétaires, pour justifier leur appropriation par les colons», a expliqué Idir Hashi.
Parallèlement, les mosquées ont été transformées en églises, casernes ou dépôts d’armes, symbolisant une volonté d’effacer l’identité culturelle et religieuse du peuple algérien.
Boukhalfa Amazit, journaliste et scénariste spécialisé dans l’histoire de la Guerre de Libération nationale, a rappelé que l’un des objectifs centraux de l’invasion était le pillage du trésor d’Alger. Ce butin, amassé par les deys d’Alger, fut partagé entre les officiers français et une élite politique à Paris. Ce scandale, rarement abordé, met en lumière l’avidité économique qui sous-
tendait l’entreprise coloniale.
En outree, les Algériens étaient soumis à une ségrégation implacable, renforcée par la mise en place d’un apartheid social et spatial. La mission dite «civilisatrice», mise en avant par les propagandistes coloniaux, n’était qu’un écran de fumée pour masquer des crimes d’une ampleur dévastatrice.
Le mythe de la «mission civilisatrice»
Face à ces atrocités, les colons ont tenté de justifier leurs actes par le concept de «mission civilisatrice». Cependant, comme l’a notifié Boukhalfa Amazit : «Cette mission n’était qu’une mystification, dissimulant un projet d’extermination.» Les prétendues valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité se sont heurtées à une réalité de meurtres, de viols et de pillages.
Amin Nebache a dénoncé cette hypocrisie : «Le déshonneur, c’est prétendre défendre des valeurs universelles tout en envoyant des brigands et des mercenaires commettre des atrocités au nom de la civilisation.»
Des cicatrices toujours vives
Les conséquences de ces actes continuent de marquer la société algérienne. Des générations entières ont été traumatisées par les déportations massives, les camps de concentration et l’exploitation économique. En évoquant les témoignages glaçants d’Henri Alleg, torturé en 1958, les intervenants ont rappelé que la colonisation n’a jamais été un processus de civilisation, mais bien une entreprise de destruction.
Ces exactions, étalées sur plus d’un siècle, ont profondément marqué l’Algérie. «Le 8 mai 1945 a été une fracture historique majeure, témoignant de l’évolution du peuple algérien, de la soumission à une prise de conscience politique», a indiqué l’avocate Fatma-Zohra Benbraham.
L’héritage de la colonisation française, caractérisé par des crimes de masse et une négation systématique de l’autre, continue de hanter les relations entre les deux pays. La quête de justice et de vérité reste entravée par le silence et le refus d’assumer pleinement cette responsabilité.
La mémoire de ces crimes doit être préservée pour empêcher toute tentative de réécriture de l’histoire. Comme l’a affirmé Fatma-Zohra Benbraham, avocate et chercheuse en droit : «Les faits sont clairs et documentés. Les crimes coloniaux doivent comparaître devant le tribunal de l’histoire.» Aujourd’hui, il est plus crucial que jamais de rappeler ces réalités.
La politique de la terre brûlée : un système destructeur
Maître Benbraham a affirmé que «jamais un criminel ne reconnaît moralement son crime ; il peut l’admettre physiquement, mais toujours en invoquant des justifications honorables». Elle a décrit la stratégie coloniale comme une entreprise de destruction totale : «Ne rien laisser en vie – ni humains, ni animaux, ni végétation – tout devait être anéanti.»
Cette politique de table rase, combinée à une volonté de repeuplement et de christianisation, visait à éradiquer l’identité arabo-musulmane du pays.
Cette logique s’est traduite par des massacres que maître Benbraham a qualifiés de «crimes crapuleux», récompensés par des distinctions honorifiques, telles que des promotions militaires. Pourtant, elle a souligné que ces actes ne relevaient pas des règles de guerre internationales, mais bien d’une stratégie délibérée de génocide.
Famine, razzias et massacres : une machine génocidaire en marche
Le Dr Hashi, historien et maître de recherche, a mis en avant l’ampleur des razzias menées par les forces coloniales. Ces dernières, en confisquant le bétail, en détruisant les silos de blé et en brûlant les arbres fruitiers, ont provoqué des famines meurtrières entre 1867 et 1869. «Ces actes ne relevaient pas du hasard, mais d’une stratégie préméditée pour affamer et déplacer les populations», a-t-il expliqué.
Les correspondances entre les officiers coloniaux révèlent également l’étendue de ces exactions : des dizaines de milliers de têtes de bétail volées, des villages rasés et des tribus cantonnées sur les terres les plus ingrates.
Le Dr Hashi a également mentionné la famine provoquée par ces pratiques, comparant les zones réservées aux tribus à des réserves indiennes.
Le tournant du 8 mai 1945 : une frénésie de violence
Pour Amin Nebache, journaliste, le massacre du 8 Mai 1945 a marqué un tournant dans l’histoire de la colonisation française en Algérie. «Ce jour-là, alors que les Algériens manifestaient pour célébrer la victoire contre le nazisme, ils ont été accueillis par une répression sanglante. En une semaine, plus de 45 000 Algériens ont été massacrés.»
Ces événements, suivis par la création de camps de regroupement et par des exécutions sommaires, témoignent de ce que M. Nebache a qualifié de «frénésie génocidaire». Il a ajouté que des documents filmés montrent des soldats français exécutant froidement des civils, y compris des enfants et des vieillards, «une expression de la barbarie coloniale exposée au monde entier».
Une reconnaissance entravée par le secret
Malgré l’ampleur de ces crimes, l’accès aux documents historiques reste difficile. Maître Benbraham a dénoncé «un crime contre la vérité historique», rappelant que de nombreux documents restent classés «secret défense», bien que le délai légal de leur déclassification soit dépassé.
Elle a informé que la France continue de limiter l’accès aux archives, empêchant une pleine reconnaissance des massacres.
Les procédés juridiques, comme les actes de succession, ont toutefois permis d’estimer que le bilan humain des massacres dépasse largement les chiffres officiels. «Nous travaillons sur une estimation mathématique qui suggère que près de 80 000 Algériens ont été tués lors des événements de mai 1945», a-t-elle révélé.
Ces exactions, étalées sur plus d’un siècle, ont profondément marqué l’Algérie. «Le 8 Mai 1945 a été une fracture historique majeure, témoignant de l’évolution du peuple algérien, de la soumission à une prise de conscience politique», a ajouté l’avocate.
La mentalité des moudjahidine algériens
Interrogé sur la mentalité des moudjahidine algériens, Boukhalfa AmAzit a expliqué comment l’état d’esprit des Algériens avait profondément évolué après 1945, et plus particulièrement en 1954. «Les moudjahidine qui se sont engagés disaient et répétaient : ‘Moi, quand je suis monté au maquis, j’étais libre, je n’étais plus colonisé.’» Ainsi, il a précisé que dès qu’ils ont pris les armes, ces combattants ont proclamé leur indépendance, un changement fondamental d’état d’esprit face au colonialisme.
Selon M. Amazit, ce changement de mentalité a été l’une des raisons pour lesquelles le colonialisme a livré une guerre totale contre l’Algérie et son peuple. «La guerre est devenue absolue lorsque la peur a commencé à changer de camp, et c’est ce qui a poussé le colonialisme à utiliser des méthodes extrêmes», a-t-il ajouté. Il a précisé que la torture, bien que terrible, n’était qu’un épiphénomène dans cette guerre, un aspect parmi d’autres dans un système d’oppression globale.
Idir Hashi, docteur en histoire, a aussi abordé cette violence coloniale et les facteurs qui ont influencé la mentalité des moudjahidines en évoquant les massacres du 8 Mai 1945. Il a cité des précédents historiques, notamment des événements similaires au XIXe siècle, pour montrer la permanence des procédés répressifs : «Ces exemples prouvent qu’il y a reproduction et permanence des mêmes méthodes de répression, permettant de remettre en question non seulement les responsabilités individuelles, mais aussi les responsabilités structurelles.»
L’historien a insisté sur la continuité de ces pratiques à travers les décennies, un phénomène qu’il a attribué à un système de répression systémique qui a perduré au fil du temps.
Jean- Marie Le Pen, Le «criminel»
La discussion s’est ensuite orientée vers une actualité marquante : la disparition, le 7 janvier dernier, de Jean-Marie Le Pen, une figure emblématique du système de torture coloniale organisée en Algérie. Un journaliste a rappelé que l’ancien parachutiste, qui avait reconnu avoir torturé des Algériens, avait ensuite nié ces faits toute sa vie, malgré les preuves accablantes.
M. Amazit a commenté cette situation, affirmant que cette glorification persistante des tortionnaires est «inadmissible». Il a également rappelé que, contrairement à l’esclavage qui a été reconnu comme crime contre l’humanité, le colonialisme n’a toujours pas été qualifié de la même manière.
Il a dénoncé ce double standard : «Le colonialisme, c’est l’esclavage sur place, pourtant il n’est toujours pas reconnu comme crime contre l’humanité.»
Le statut juridique de la colonisation
Le débat a ensuite porté sur la qualification juridique des crimes coloniaux. Maître Benbraham a souligné que, depuis l’adoption du Statut de Rome en 1998, la colonisation est désormais considérée comme une «série de crimes contre l’humanité». «C’est un crime continu, imprescriptible», a-t-elle précisé, ce qui permet aux juristes de se saisir de ces instruments pour réclamer justice.
Elle a aussi évoqué l’arsenal juridique mis en place par la France pour protéger son système colonial, notamment à partir de 1956, avec la légalisation de la torture et la création de tribunaux spéciaux composés uniquement de militaires. Ces tribunaux ont permis d’étouffer les plaintes et d’empêcher toute forme de justice pour les victimes algériennes.
Maître Benbraham a rappelé que les témoins de ces atrocités, qu’ils soient français ou algériens, continuent à briser le silence : «Aujourd’hui, il y a des témoignages vivants, des généraux et des militaires français qui commencent à parler, et il faut absolument les entendre.» Selon elle, le travail de justice reste immense : «Les victimes de la torture, de la disparition, du viol, ont encore besoin de réparation.» Elle a cité à cet égard la loi Morin, qui indemnise les victimes des explosions atomiques, et a suggéré qu’un principe similaire devrait être appliqué aux victimes de la Guerre d’Algérie. «Il faut intégrer la notion de droit pour qu’aujourd’hui, ces victimes puissent enfin demander réparation.»
Déshonneur et Impunité
La discussion sur la Guerre de Libération nationale algérienne, la torture coloniale et les mécanismes de répression a révélé la profonde complexité du système colonial français, dont les effets persistants continuent de marquer les mémoires et les consciences. Les témoignages, qu’ils soient historiques ou contemporains, dressent un portrait accablant d’un régime qui a légalisé et systématisé la violence, notamment à travers la torture et les massacres tout en cherchant à effacer les traces de ses crimes.
Aujourd’hui, certains cercles néoimpérialistes et partisans de l’extrême droite s’efforcent de glorifier cette période sombre ou d’en minimiser les effets. Face à ces tentatives de réécriture de l’histoire, il est impératif de rappeler les crimes inqualifiables perpétrés par la France coloniale contre le peuple algérien.
En tout cas, l’héritage de la colonisation française, caractérisé par des crimes de masse et une négation systématique de l’autre, continue de hanter les relations entre les deux pays. La quête de justice et de vérité reste entravée par le silence et le refus d’assumer pleinement cette responsabilité historique. G. S. E.