
Il arrive que la politique étrangère d’un pays bascule sans bruit, sans grands discours, mais avec la force tranquille des actes qui s’enchaînent, se répandent et finissent par dessiner une nouvelle posture internationale. C’est exactement ce qu’a vécu l’Algérie, le mois dernier.
Alors concrètement et sans faire dans les grands discours, qu’est-ce que l’Algérie a vécu lors de ce dernier mois ? Hé bien, c’est quelque chose qui ne passe absolument pas inaperçu aux yeux des observateurs de la dynamique internationale. C’est un coup de dominos très important dans la géopolitique. Car derrière le tumulte des conflits, les tensions entre puissances et les rivalités de blocs, l’Algérie a discrètement imposé un rythme inédit à sa diplomatie, au point de transformer un mois d’été en moment charnière.
Il ne s’agit pas ici d’un coup d’éclat isolé, mais bien d’un enchaînement maîtrisé de coups qui traduisent une volonté stratégique : diversifier les alliances, renforcer les partenariats utiles et affirmer une voix indépendante.
Et c’est à la mi-juillet que ce basculement est devenu tangible, avec un geste qui aurait pu passer inaperçu pour un œil peu attentif, mais qui ressemble à une double-six pour les connaisseurs. En rejoignant officiellement le Traité d’amitié et de coopération avec l’ASEAN à la mi-juillet, l’Algérie a fait bien plus que signer un document diplomatique : elle a posé un acte fondateur vers l’Est asiatique, tourné vers l’avenir, vers l’une des plus grandes zones de croissance du XXIe siècle. Ce mouvement n’est pas le fruit d’un alignement opportuniste, mais d’une préparation méticuleuse : le ministre algérien des Affaires étrangères a, en amont, visité chacun des pays membres de l’organisation, rencontrant leurs chefs de diplomatie comme leurs Premiers ministres et instaurant un dialogue inédit et durable.
Ce geste illustre un objectif de fond : redessiner la carte des partenariats algériens au-delà des logiques classiques Nord-Sud et s’ancrer dans les zones les plus stratégiques de l’économie mondiale. D’ailleurs, l’impact a été immédiat. On parle déjà de plusieurs investisseurs économiques de l’ASEAN, qui seraient prêts à s’installer en Algérie.
Mais ce rapprochement avec l’Asie du Sud-Est, aussi structurant soit-il, n’était qu’un jalon parmi d’autres. Car à peine quelques jours plus tard, ce sont les dix derniers jours de juillet qui allaient dessiner les contours d’une partie de dominos qui sera remarquable.
Alger et Rome jouent ensemble
Tout s’accélère à partir du 23 juillet, date clé qui marque un virage significatif dans la densité des engagements diplomatiques algériens. Ce jour-là, à Rome, le président Abdelmadjid Tebboune est reçu avec les honneurs par son homologue italien Sergio Mattarella, ainsi que par la présidente du Conseil des ministres, Giorgia Meloni. Ce sera un sommet intergouvernemental de très haut niveau entre les deux nations. Mais au-delà du protocole, le fond l’emporte sur la forme : les discussions vont droit au but et les accords signés couvrent des secteurs cruciaux – énergie, sécurité, innovation technologique, coopération universitaire.
Ce n’est plus une relation classique entre producteur et importateur de gaz : l’Italie voit désormais en l’Algérie un véritable partenaire d’équilibre pour la Méditerranée, et même au-delà. Rome ne cache plus son intention de faire de l’Algérie un pilier du réajustement géoéconomique européen post-Ukraine, tout en l’intégrant à ses propres ambitions africaines. Côté algérien, on parle désormais d’une relation stratégique à long terme, fondée sur l’égalité, la stabilité et les intérêts croisés.
Ouvrir la voie à Washington
Puis vient le 27 juillet, avec une visite qui, à elle seule, aurait pu occuper la une pendant plusieurs jours : celle de Masad Boulos, conseiller spécial du président américain pour l’Afrique et le Moyen-Orient. Ce haut responsable, envoyé directement par la Maison-Blanche, porte avec lui bien plus qu’un message de courtoisie. Il incarne la reconnaissance explicite par les États-Unis du rôle croissant de l’Algérie dans la stabilité régionale, en Afrique du Nord, au Sahel et dans l’espace méditerranéen.
L’entretien qu’il a eu avec le Président Tebboune est décrit par plusieurs sources comme franc, dense et porteur d’objectifs communs. L’axe Alger-Washington, longtemps perçu comme distant, s’engage désormais dans une reconfiguration stratégique assumée. Sécurité énergétique, lutte contre le terrorisme, gouvernance régionale, transition verte… autant de dossiers qui placent l’Algérie au cœur des préoccupations américaines, non plus seulement comme acteur régional, mais comme levier d’équilibre et de projection.
Washington a besoin des bonnes pierres pour mener au mieux son jeu et créer l’ouverture nécessaire dans une région très complexe où les stratégies ne sont pas en abondance. Comprendre cette région nord-africaine/sahélienne, qui est loin de l’Amérique, mais dans laquelle les Américains trouvent tous leurs intérêts sécuritaires, énergétiques et diplomatiques. Une région où la partie ne s’arrête jamais. Washington le sait : Alger a les bonnes pièces. L’Algérie peut ouvrir la voie.
Mais au-delà des thèmes évoqués, c’est surtout le ton et la méthode qui marquent un changement : le respect affiché pour la position algérienne, la volonté de bâtir une relation fondée sur la concertation et l’intérêt mutuel, sans tutelle ni arrière-pensée. Masad Boulos l’a clairement exprimé : Washington attache une importance grandissante à son partenariat avec Alger et souhaite l’inscrire dans la durée. C’est une avancée diplomatique qui n’a rien de symbolique : elle préfigure peut-être le début d’un axe important entre l’Algérie et les États-Unis.
Berlin à l’écoute, Madrid en ligne de mire
Deux jours plus tard, dans cette séquence intense, l’Allemagne entre également dans la danse. Le président allemand Frank-Walter Steinmeier a échangé par téléphone avec notre président, Abdelmadjid Tebboune, pour l’inviter officiellement à effectuer une visite d’État à Berlin. En retour, le président algérien a convié son homologue à visiter l’Algérie. Ce dialogue bilatéral marque une volonté mutuelle de donner un nouvel élan à une relation restée trop longtemps discrète. Les visites officielles devraient sûrement survenir au cours des prochains mois.
Ce rapprochement germano-algérien n’est pas anodin. Il s’inscrit dans une logique d’élargissement du partenariat stratégique, notamment dans le domaine énergétique et industriel. D’ailleurs, les deux pays collaborent activement dans l’hydrogène vert. L’Algérie cherche ainsi à construire, après Rome, un second axe européen structurant, cette fois avec Berlin et ce, malgré la crise actuelle avec Paris.
Solidarité avec Beyrouth
Mais l’Europe ne fut pas le seul théâtre de projection diplomatique pour l’Algérie en cette fin de mois de juillet. Dans cette même période, le président libanais Joseph Aoun a effectué une visite officielle à Alger, accueillie dans un climat mêlant gravité, dignité et solidarité arabe. Fidèle à sa doctrine de non-ingérence et de respect entre États souverains, l’Algérie a refusé de réduire le Liban à un simple “cas humanitaire” ou à une situation d’assistanat. Le Liban est un joueur en difficulté mais qui peut encore y croire, et notre diplomatie le sait. Elle a considéré Beyrouth comme un partenaire à part entière, un pays frère en quête de relèvement, porteur de résilience et d’histoire.
Et ce positionnement n’est pas que symbolique. L’Algérie a concrètement apporté des aides structurantes, notamment à travers la réhabilitation d’infrastructures publiques, des contributions à la reconstruction d’équipements gouvernementaux et un appui à la remise en état de secteurs vitaux sinistrés par les crises successives. Une diplomatie de soutien, certes, mais aussi d’engagement dans la durée, pensée pour accompagner un redressement durable du pays du Cèdre.
À travers cette démarche, Alger entend visiblement renforcer sa présence dans l’espace moyen-oriental, une région stratégique aux équilibres précaires, mais aux enjeux cruciaux. Cette volonté s’appuie sur des relations déjà bien établies avec des acteurs majeurs du Golfe, notamment Oman et le Qatar, dont les liens avec l’Algérie sont marqués par le respect mutuel, le dialogue politique régulier et des convergences économiques grandissantes.
L’Afrique n’est pas en reste
En parallèle du front euro-méditerranéen et moyen-oriental, Alger continue de consolider sa profondeur stratégique sur le continent africain. Les derniers jours de juillet ont vu la capitale algérienne se transformer en véritable carrefour diplomatique panafricain, accueillant une série d’initiatives majeures illustrant une volonté claire : fédérer les dynamiques régionales et incarner une parole africaine structurée sur la scène internationale. D’abord à travers une réunion consultative de haut niveau, rassemblant plusieurs ministres africains des Affaires étrangères, organisée dans une logique de coordination continentale. Objectif affiché : renforcer les convergences et unifier la voix de l’Afrique dans les grandes enceintes multilatérales, à commencer par l’ONU. Une ambition légitime portée par une diplomatie algérienne qui allie mémoire historique, rigueur méthodologique et constance stratégique.
Moment fort de cette séquence : le président Abdelmadjid Tebboune a reçu à Alger les ministres des Affaires étrangères du “Groupe des quatre” (G4) – composé de l’Algérie, du Nigeria, de l’Afrique du Sud et de l’Éthiopie – quatre puissances politiques et démographiques du continent. Cette rencontre a permis d’approfondir la réflexion collective sur les positions africaines communes, notamment en matière de réforme de la gouvernance mondiale, de sécurité régionale et d’équité dans les institutions internationales.
Dans le sillage de cette dynamique, le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a poursuivi le maillage diplomatique avec des échanges bilatéraux intenses. D’abord avec son homologue nigérian M. Yusuf Maitama Tuggar, venu en visite officielle. Un échange qualifié de «fraternel et productif» qui a débouché sur le lancement des préparatifs de la prochaine session de la Haute-Commission mixte algéro-nigériane, un organe stratégique entre deux géants du continent.
Quelques jours plus tard, M. Ronald Lamola, ministre des Relations internationales de l’Afrique du Sud, était à son tour reçu à Alger. Les discussions ont porté sur les axes du partenariat stratégique algéro-sud-africain, conformément aux orientations tracées en décembre dernier par les présidents Tebboune et Ramaphosa. Il est désormais question de renforcer la coopération économique, la coordination géopolitique et de soutenir une vision commune africaine dans les arènes de gouvernance globale.
Et comme pour verrouiller cette séquence diplomatique africaine, le mois d’août s’ouvre sur une nouvelle consécration continentale : l’Algérie prend la présidence du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine pour tout le mois. Une fonction stratégique dans l’architecture africaine de gestion des crises, de prévention des conflits et de construction de la paix. Fidèle à son approche fondée sur la souveraineté des peuples et l’autonomie continentale, Alger entend y jouer un rôle moteur, en lien avec les autres États membres, pour faire émerger une diplomatie africaine proactive, cohérente et affranchie des ingérences extérieures.
Une reconnaissance internationale à plusieurs visages
Cette montée en puissance diplomatique de l’Algérie n’est pas restée sans écho dans les arènes internationales. Elle a été couronnée par une reconnaissance institutionnelle majeure : l’élection de l’ambassadeur Amar Benjamaâ à la vice-présidence du Conseil économique et social des Nations unies. Ce geste n’est pas purement protocolaire : il consacre la crédibilité grandissante d’une diplomatie algérienne jugée constructive, équilibrée et résolument engagée pour les intérêts des pays du Sud, en particulier dans les grands débats relatifs à la justice économique, à la gouvernance mondiale et aux enjeux de développement.
Mais ce sont aussi les forces vives de la nation, et en particulier sa jeunesse, qui sont venues marquer le tempo en cette fin de mois hautement diplomatique. Le 31 juillet, c’est le Conseil supérieur de la jeunesse (CSJ) qui a porté haut les couleurs de l’Algérie en obtenant un siège dans le tout premier bureau exécutif de l’Organisation des jeunes du Mouvement des non-alignés (MNA). Une percée inédite, hautement symbolique, qui traduit une volonté nationale affirmée : faire de la jeunesse un acteur à part entière de la politique étrangère et former dès aujourd’hui la relève diplomatique de demain.
Une diplomatie qui construit, relie et s’impose
En l’espace de dix jours, l’Algérie a donné corps à une diplomatie agile, ascendante et résolument multipolaire. Elle dialogue avec l’Europe sans dépendance, avec l’Amérique sans subordination, avec l’Afrique sans paternalisme et avec le monde arabe sans équivoque. Elle ne se contente plus de réagir : elle initie, propose, structure. Elle bâtit des passerelles, active ses leviers régionaux et impose une voix indépendante, cohérente avec son histoire, mais pleinement arrimée aux enjeux du monde contemporain.
Juillet 2025 ne restera pas seulement comme le mois où l’Algérie s’est exprimée. Il restera comme celui où elle a été écoutée, intégrée et considérée. Et à en juger par les premiers signaux du mois d’août, cette dynamique n’est pas un feu de paille : elle ressemble de plus en plus à un cap. La partie penche plus que jamais vers l’Algérie, il ne reste qu’a bien poser les dernières pièces.
G. Salah Eddine
