
Lors d’une émission diffusée lundi dernier sur la chaîne de télévision belge Atipik TV, l’ancien député européen, le Franco-Algérien Karim Zeribi, a livré une analyse riche à la fois sur la dynamique africaine, le rôle de l’Algérie et sur la relation complexe entre l’Union européenne et l’Afrique.
Par G. Salah Eddine
Analyste reconnu, essayiste et ancien député européen français, Karim Zeribi fait partie de ces voix rares qui, au carrefour de l’Europe et de l’Afrique, s’emploient à décrypter les mutations profondes d’un monde en recomposition. Habitué des plateaux médiatiques et des forums internationaux, il multiplie les interventions pour alerter sur les déséquilibres économiques, l’urgence des réformes politiques, mais aussi sur la nécessité d’un récit africain porté par les Africains eux-mêmes.
L’IATF d’Alger a battu tous les records
Dès le début de son intervention, Karim Zeribi n’a pas caché son enthousiasme face à la réussite de l’événement. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : «Lorsque l’on regarde les chiffres de cette 4e édition, on constate qu’il y avait 60 000 visiteurs professionnels, 2 200 exposants, des centaines d’experts et d’entreprises africaines, 132 pays représentés et surtout un chiffre qu’il faut retenir : plus de 48,5 milliards de contrats signés. C’est un record.» En effet, ces chiffres ont dépassé les prévisions les plus optimistes de l’Afreximbank qui espéraient au mieux 44 milliards de dollars d’accords et la moitié de visiteurs professionnels.
Cette dynamique économique, fruit de plusieurs années de coopération et de volonté politique, ne doit rien au hasard. Pour Zeribi, elle marque une étape décisive dans le processus d’intégration économique continentale, portée par la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). «Il s’agit d’animer, de dynamiser cette zone de libre-échange intra-africaine qui doit favoriser la production, le commerce et surtout l’avenir de la jeunesse. L’Afrique doit être moins dépendante des autres continents», explique-t-il.
Il a également tenu à saluer l’organisation impeccable de l’Algérie, hôte de cette édition. «Le Centre international des congrès ferait envie à bien des capitales européennes. L’hébergement était de qualité et beaucoup d’acteurs étrangers ont exprimé leur volonté de revenir en Algérie pour développer des relations d’affaires.» Une reconnaissance qui, selon lui, consacre l’image d’un pays en train de s’imposer comme un hub africain incontournable.
L’Algérie, leader et boussole continentale
Au-delà de l’événement, M. Zeribi s’attache à replacer la réussite algérienne dans une vision plus large. Pour lui, l’Algérie incarne une direction, une orientation, un point de repère : «Je crois que l’Algérie est une boussole pour le continent. C’est une puissance méditerranéenne, une puissance africaine, qui a décidé de faire état d’une grande souveraineté, sur les plans politique, économique et culturel.»
Cette souveraineté, ajoute-t-il, s’inscrit dans une continuité historique. L’Algérie a longtemps été l’un des porte-voix de la lutte anticoloniale et demeure, encore aujourd’hui, un acteur central des débats sur la décolonisation. «Il faut construire un récit africain. Ne plus subir celui des anciens pays colonisateurs. La décolonisation doit être abordée de manière globale et l’Algérie joue un rôle moteur dans ce processus.»
Ce propos prend un relief particulier au moment où de nombreux pays africains, notamment dans le Sahel, revendiquent une rupture avec l’ordre postcolonial et cherchent à redéfinir leurs partenariats. Pour Zeribi, l’Algérie est à la fois un modèle et un catalyseur de cette aspiration.
La ZLECAf, enjeu économique et migratoire
L’entretien s’oriente ensuite vers les perspectives offertes par la ZLECAf. La prochaine édition de l’IATF se tiendra au Nigeria, autre géant africain. Mais les enjeux restent les mêmes. «Il faut que les matières premières africaines soient transformées en Afrique et non plus pillées et transformées ailleurs. C’est un enjeu économique mais aussi migratoire : il faut offrir des emplois à une jeunesse formée et diplômée qui ne doit pas chercher l’Eldorado à l’extérieur.»
L’alerte est claire : l’Afrique doit rompre avec la dépendance structurelle qui la lie aux grandes puissances économiques. L’exploitation brutale et unilatérale des ressources africaines appartient à un passé qui, selon Zeribi, ne peut plus durer. «L’Afrique doit redéfinir des règles de partenariat gagnant-gagnant, d’égal à égal, avec l’Occident et l’Asie. L’exploitation sans partage des richesses africaines n’est plus acceptable.»
Ce discours trouve un écho particulier dans le contexte actuel, où les migrations, la crise climatique et les tensions géopolitiques pèsent lourdement sur la stabilité des États africains.
L’Europe et le test africain
Sans surprise, M. Zeribi a élargi son analyse à la relation complexe entre l’Europe et l’Afrique. Prenant l’exemple du partenariat Algérie–UE, il met en lumière les déséquilibres structurels : «Aujourd’hui, nous avons 47 milliards d’échanges entre l’Union européenne et l’Algérie. Mais 95 % des exportations algériennes sont des hydrocarbures. Ce n’est pas suffisant. L’Europe doit accepter les produits agricoles, agroalimentaires et industriels made in Algeria.»
Cet état de fait conduit, selon lui, à une révision nécessaire de l’accord d’association signé en 2002 et entré en vigueur en 2005. «Cet accord a été très avantageux pour l’Union européenne. L’Algérie demande sa révision pour équilibrer les échanges. L’Europe doit entendre ce message.»
Zeribi insiste que si l’Europe veut préserver une relation solide avec l’Afrique, elle doit se départir d’une vision paternaliste et reconnaître l’émergence de nouveaux pôles économiques et politiques.
Coopération, sécurité et respect mutuel
L’enjeu n’est pas seulement économique, rappelle Zeribi. Il est aussi sécuritaire. «L’accord d’association ne contient pas que des aspects économiques. Il y a aussi des enjeux sécuritaires, notamment dans la région sahélienne. L’Algérie, aguerrie à la lutte contre le terrorisme après dix années noires, est un partenaire stratégique pour l’Europe. Mais pour cela, il faut aller sur le chemin du respect.»
Il rappelle les atouts d’un pays souvent sous-estimé par ses partenaires occidentaux : «Le plus grand pays d’Afrique, 10e plus grand au monde, 7e producteur de gaz, 17e producteur de pétrole, avec 1,8 million d’universitaires. C’est un pays qui se réforme, qui produit et qui doit être considéré comme un partenaire de confiance.»
Pour M. Zeribi, la stabilité de l’Afrique du Nord et du Sahel est directement liée à la reconnaissance du rôle central de l’Algérie.
Un avenir commun à bâtir
Enfin, l’ancien député européen esquisse une vision prospective. Elle repose sur l’idée d’une coproduction structurante entre l’Europe et l’Afrique : «L’Union européenne doit voir dans la montée en puissance africaine une opportunité et non une concurrence. L’avenir passe par la coproduction euro-africaine. C’est du gagnant-gagnant.»
Sa conviction est sans équivoque : «L’Afrique doit avancer vers les États-Unis d’Afrique, une organisation politique et économique forte, tandis que l’Europe doit sortir de son arrogance pour bâtir un partenariat durable. C’est la seule voie pour assurer l’avenir de la jeunesse africaine et la prospérité commune.»
Une déclaration qui, au-delà de l’analyse, résonne comme un appel. Un appel à dépasser les héritages lourds du passé, à briser les logiques de domination et à construire un avenir où l’Algérie, fidèle à son histoire, reste au cœur des dynamiques d’un continent en pleine renaissance.
En tout cas, l’appel de Zeribi résonne comme une exigence : l’heure n’est plus à la résignation face aux logiques anciennes de domination, mais à la construction d’un partenariat fondé sur l’égalité, le respect mutuel et la coproduction. Si l’Europe entend préserver son avenir commun avec l’Afrique, elle devra reconnaître dans l’Algérie et ses partenaires africains non pas des interlocuteurs secondaires, mais des architectes d’un nouvel ordre mondial en gestation. Plus qu’une simple analyse, c’est une mise en garde et un cap que trace Zeribi : celui d’un continent qui, en reprenant son destin en main, impose déjà une nouvelle grammaire géopolitique.
G. S. E.