
L’intelligence artificielle (IA) est devenue l’un des enjeux stratégiques les plus importants du XXIe siècle. Tous les pays avec une vision éclairée de l’avenir en parle avec instance.
Par G. Salah Eddine
Cette IA n’est plus un simple concept de science-fiction. Elle est désormais une réalité palpable, transformant chaque aspect de notre vie quotidienne, de la manière dont nous travaillons à celle dont nous interagissons avec le monde. Mais au-delà de ses applications pratiques, l’IA est devenue un champ de bataille stratégique où les grandes puissances mondiales se livrent une lutte acharnée pour la domination technologique. Cette compétition ne se limite pas à des enjeux économiques. Elle englobe des dimensions militaires, politiques et culturelles, redéfinissant les rapports de force à l’échelle mondiale.
Aujourd’hui, deux géants se démarquent dans cette course effrénée : les États-Unis et la Chine. Les États-Unis, berceau historique de l’innovation technologique, et la Chine, montée en puissance avec une ambition dévorante, se font face dans une rivalité qui pourrait bien déterminer l’avenir de l’humanité. Derrière la compétition apparente entre la Silicon Valley et les géants chinois comme Tencent ou Baidu, c’est une guerre silencieuse qui se joue : celle de l’hégémonie sur les données, les infrastructures et les intelligences artificielles de demain. En tous cas cette « guerre» soulève des questions fondamentales sur l’éthique, la sécurité, et même la survie de nos sociétés. Alors, est-on en train d’assister aujourd’hui à une guerre ultramoderne vers l’IA et qui mène la danse ? Pour y répondre, il est important de connaître d’abord le contexte actuel, les stratégies des deux superpuissances et les différents enjeux de l’IA ?
Bien Plus qu’une Simple Course Technologique
La compétition en IA ne se limite pas à une rivalité économique. Elle a des implications profondes pour la sécurité nationale, la défense et même la gouvernance mondiale. Sur le plan militaire, les applications de l’IA, telles que les drones autonomes et les systèmes de cyberdéfense, sont devenues des priorités stratégiques.
Sur le plan économique, l’IA est un moteur de croissance incontournable. Elle transforme des secteurs entiers, de la santé à la finance, en passant par la fabrication. Celui qui dominera ce domaine aura un avantage compétitif majeur, capable de redéfinir les règles du jeu économique mondial.
Enfin, l’IA est un outil d’influence géopolitique. Les normes et standards établis par les leaders de l’IA auront un impact durable sur la gouvernance mondiale. Les États-Unis et la Chine cherchent à promouvoir leurs modèles respectifs, avec des implications majeures pour la démocratie, les droits de l’homme et la souveraineté numérique.
Une Révolution Silencieuse
La course à l’intelligence artificielle ne date pas d’hier. Elle plonge ses racines dans les avancées technologiques des dernières décennies, où les États-Unis ont longtemps régné en maîtres. Avec des institutions académiques prestigieuses comme le MIT et Stanford, et des géants technologiques tels que Google, Amazon et Microsoft, les États-Unis ont dominé le paysage de l’IA, façonnant les standards et les innovations qui définissent ce domaine.
Mais la Chine, déterminée à ne pas rester dans l’ombre, a rapidement rattrapé son retard. En 2017, le gouvernement chinois a dévoilé un plan audacieux : devenir le leader mondial de l’IA d’ici 2030. Soutenu par des investissements colossaux et une politique industrielle agressive, ce plan a propulsé la Chine sur le devant de la scène technologique. Aujourd’hui, des entreprises comme Baidu, Alibaba et Tencent (BAT) rivalisent avec les géants américains, tandis que des projets phares comme les villes intelligentes et les réseaux 5G témoignent de l’ambition chinoise.
Deux Modèles, un seul objectif
Les États-Unis et la Chine adoptent des approches radicalement différentes dans leur quête de suprématie en IA. Les États-Unis misent sur un écosystème d’innovation dynamique, où le secteur privé, les universités et le gouvernement collaborent étroitement. Des entreprises comme Nvidia, Tesla et Microsoft sont à la pointe de la recherche, tandis que des agences comme la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) soutiennent les projets les plus audacieux. Cependant, les États-Unis doivent faire face à des défis internes, notamment des débats houleux sur l’éthique de l’IA et la protection des données, qui pourraient freiner leur avancée.
La Chine, quant à elle, joue une partition différente. Elle a mis en place des politiques publiques agressives pour stimuler l’innovation. Subventions, incitations fiscales et partenariats public-privé ont permis à des entreprises comme Huawei et SenseTime de se hisser au sommet.
La dépendance technologique est un autre enjeu majeur. Les deux pays cherchent à réduire leur dépendance mutuelle dans des domaines clés comme les semi-conducteurs et les logiciels. La sécurité des données est également une préoccupation croissante, avec des risques de cyberattaques et d’espionnage industriel.
Le Deepseek chinois rabat les cartes de l’IA générative
Si la compétition en intelligence artificielle (IA) se joue sur plusieurs fronts, c’est l’IA générative qui capte l’attention du grand public. Ces technologies, désormais omniprésentes, transforment la jeunesse et modifient profondément nos modes de vie. Bien plus qu’un simple outil technologique, l’IA générative est une arme stratégique et un puissant levier de soft power international. Jusqu’ici dominé par les États-Unis avec des modèles comme ChatGPT et Copilot, le secteur connaît un séisme : une nouvelle plateforme chinoise, DeepSeek, est en train de redistribuer les cartes à une vitesse fulgurante. En décembre 2024, ce laboratoire encore inconnu lançait son modèle R1, qui, en quelques mois, est devenu un sérieux rival d’OpenAI et de Meta. L’exploit ne réside pas seulement dans ses performances impressionnantes, mais surtout dans son coût dérisoire : seulement 6 millions d’euros, contre les centaines de millions investis par les géants américains. Contrairement aux modèles nécessitant les GPU ultra-puissants de Nvidia, DeepSeek mise sur une approche d’apprentissage optimisé, rendant inutile une puissance de calcul massive. Résultat : en un temps record, il s’est imposé comme une référence sur Hugging Face et a détrôné ChatGPT de la première place sur l’App Store américain.
L’impact est immense. Ce succès remet en cause le modèle économique de la Silicon Valley, fondé sur des infrastructures de calcul colossales et des investissements massifs. Si une alternative aussi performante peut émerger avec seulement 1% des ressources mobilisées par les entreprises américaines, comment OpenAI, Microsoft ou Nvidia justifieront-ils leurs dépenses
astronomiques ? Déjà, les conséquences se font sentir : Nvidia, qui était devenue la deuxième entreprise technologique la plus rentable des États-Unis après Microsoft, a vu son action chuter de 17% en Bourse.
La menace ne se limite pas à DeepSeek lui-même. Avec ses modèles open sources et sa méthode d’entraînement révolutionnaire, la start-up chinoise ouvre la voie à une nouvelle ère où la puissance brute ne sera plus le nerf de la guerre. Assiste-t-on au «moment Spoutnik de l’IA», comme le pressent Marc Andreessen ? Si DeepSeek s’impose, c’est toute l’architecture actuelle de l’IA qui pourrait s’effondrer, propulsant la Chine au sommet de cette révolution technologique.
Coopération ou conflit futur ?
La course à l’IA aura des implications profondes pour la gouvernance mondiale. Les normes et standards établis par les leaders de l’IA influenceront la manière dont les technologies sont utilisées et régulées à l’échelle mondiale. Les États-Unis et la Chine auront un rôle clé à jouer dans la définition de ces normes, avec des implications pour la démocratie, les droits de l’homme et la souveraineté numérique.
L’avenir de cette compétition en IA reste incertain. Une coopération internationale accrue pourrait permettre de relever les défis communs, tels que la régulation éthique et la sécurité des données. Cependant, la méfiance mutuelle et les rivalités géopolitiques pourraient conduire à une fragmentation technologique, avec des normes et des écosystèmes distincts.
D’autres acteurs, comme l’Union européenne, le Canada, le Royaume-Uni et le Japon, pourraient également jouer un rôle clé dans cette course. L’UE, par exemple, cherche à établir une troisième voie en matière d’IA, en mettant l’accent sur l’éthique et la régulation.
Alors que plusieurs pays continuent d’investir massivement dans la recherche et le développement, il est essentiel de trouver un équilibre entre innovation et régulation, afin de maximiser les bénéfices de l’IA tout en minimisant les risques. La coopération internationale et la mise en place de normes éthiques seront cruciales pour garantir que l’IA serve le bien commun et contribue à un avenir plus prospère et plus sûr pour tous.
Du coup qui est le leader ?
On peut affirmer que les États-Unis, portés par les géants de la Silicon Valley, dominent encore le secteur de l’IA à l’échelle mondiale, bien que la Chine les talonne de près. Cette compétition promet d’être passionnante dans les années à venir. L’objectif affiché de Pékin est clair : détrôner Washington d’ici 2030, et plusieurs indicateurs semblent déjà jouer en faveur du géant asiatique. Toutefois, sous la présidence de Trump, avec une idéologie conservatrice mais résolument tournée vers la modernité, les États-Unis mettront tout en œuvre pour préserver leur avance. Quoi qu’il en soit, l’IA s’impose comme le moteur principal du développement technologique mondial. Les pièces sont en place, et la course est plus que jamais lancée.
G. S. E.