
Dans un contexte de durcissement des politiques migratoires, la France connaît une intensification des mesures restrictives vis-à-vis des étrangers, suscitant des inquiétudes parmi les syndicats et les organisations de défense des droits humains. Le décret du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, publié en janvier dernier, vise à renforcer les conditions d’obtention de titre de séjour et à limiter les possibilités de régularisation des étrangers, entraînant des conséquences humaines dramatiques, notamment l’expulsion de familles entières à la rue.
Dans une interview accordée à la chaîne AL24, le professeur Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe d’études politiques, spécialiste en sciences politiques et relations internationales, ainsi que Dr. M’Hamed Benkherouf, chercheur en politique, ont clarifié les différents points essentiels de ce contexte important.
Le Front Syndical Solidaire dénonce
Face à cette réalité, le syndicat Solidaire mène une série de manifestations vigoureuses pour dénoncer ce qu’il considère comme une «guerre déclarée contre les migrants». Des préoccupations émergent concernant la transformation de la France en un terrain d’expérimentation pour des politiques d’extrême droite, visant les groupes les plus vulnérables. Ce durcissement des mesures soulève la question de savoir si la France s’oriente vers une fermeture totale de ses portes aux migrants, et quelles seraient les implications économiques et sociales pour un pays qui dépend de la main-d’œuvre étrangère dans plusieurs secteurs. La question se pose également : ces politiques résisteront-elles aux pressions croissantes des défenseurs des droits humains ?
Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe d’études politiques, a été invité à analyser les raisons derrière les récentes décisions du gouvernement français. Il évoque l’influence croissante de l’extrême droite, en particulier en période de crise économique et sociale. Selon lui, la montée du populisme et la situation économique complexe de la France contribuent à la prolifération de discours xenophobes, où la question migratoire devient un bouc émissaire.
M. Sidaoui explique : «La France vit une crise économique profonde, avec un endettement élevé et une croissance stagnante. En période de crise, l’extrême droite trouve un terrain fertile pour se renforcer, en alimentant la peur des migrants et en détournant l’attention des vrais problèmes économiques du pays.»
M. Sidaoui poursuit en soulignant que les décisions actuelles ne sont pas nouvelles. La France, historiquement, a toujours eu une politique migratoire fluctuante, alternant entre ouverture et fermeture, en fonction des besoins économiques et des enjeux politiques internes. «La France cherche à renforcer son image de forteresse tout en mettant en place des politiques qui ignorent les réalités économiques et sociales du pays», affirme-t-il.
En évoquant les tensions internes, Riadh Sidaoui met également en lumière les contradictions au sein du gouvernement français, où, malgré la victoire de la gauche dans les élections européennes, Emmanuel Macron a formé un gouvernement de droite, exacerbant les divisions politiques. Ce positionnement pourrait être motivé par un calcul électoral, à l’approche de l’élection présidentielle, où la question migratoire est un levier pour capter les voix de l’extrême droite.
Répercussions sur les droits humains
Concernant les impacts humains de ces politiques, l’académicien Dr. M’Hamed Benkherouf, également invité à l’entretien, a abordé les souffrances des migrants vivant en France depuis des décennies sans régularisation de leur statut. Il a souligné l’injustice flagrante que représentent les expulsions de familles migrantes des centres d’hébergement, une violation évidente des droits humains.
Dr. Benkherouf indique : «La France, qui se présente comme un défenseur des droits humains, enfreint régulièrement ces principes. Le traitement des migrants, l’expulsion de familles, et l’absence de solutions concrètes révèlent une contradiction profonde entre la rhétorique de la démocratie et les pratiques réelles.»
Impact sur les travailleurs étrangers : Les travailleurs migrants, qui occupent des emplois essentiels dans divers secteurs comme la santé, la construction, et l’agriculture, sont souvent invisibilisés et laissés sans statut légal, bien qu’ils contribuent de manière significative à l’économie. M’Hamed Benkherouf mentionne l’exemple des médecins étrangers, qui comblent le déficit de main-d’œuvre dans les hôpitaux français, un secteur en grave crise de recrutement.
L’impact sur la scène européenne
Les discussions ont également abordé l’impact des politiques françaises sur l’Union européenne. Selon M’Hamed Benkherouf, les divergences d’approche entre les États membres, comme l’Allemagne, l’Italie, et la France, rendent difficile l’élaboration d’une politique migratoire commune et cohérente au sein de l’UE. La France, en particulier, semble se diriger vers une politique de plus en plus isolée, en contradiction avec les valeurs européennes de solidarité.
Ammour Ryad
Accusant l’Algérie et oubliant ses propres privilèges
Hypocrisie diplomatique à la française
L’extrême droite française, toujours en quête de responsables à ses propres maux, a trouvé un nouveau terrain d’attaque : accuser l’Algérie de tirer profit de supposées largesses françaises et de ne pas honorer ses engagements bilatéraux. Bruno Retailleau, l’un des ténors de cette mouvance, s’est empressé de relayer cette rhétorique infondée, occultant un point fondamental : si un pays bénéficie réellement de la relation franco-algérienne, c’est bien la France.
Un traitement asymétrique des biens immobiliers
La semaine dernière, le ministère algérien des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur de France, Stéphane Romatet, afin d’évoquer un sujet longtemps passé sous silence par Paris : l’occupation de biens immobiliers en Algérie par la France à des conditions dérisoires. Cette situation illustre parfaitement le déséquilibre des relations entre les deux pays.
Aujourd’hui, 61 propriétés situées en Algérie sont exploitées par la France pour des loyers symboliques. Parmi ces biens, l’ambassade de France, implantée sur une superficie impressionnante de 14 hectares sur les hauteurs d’Alger, bénéficie d’un bail tellement bas qu’il ne suffirait pas à couvrir le coût d’un studio dans une grande ville française.
Plus frappant encore, la résidence de l’ambassadeur, surnommée «Les Oliviers», qui s’étend sur 4 hectares, a été concédée à un prix quasi nul, un montant figé depuis 1962 jusqu’à une révision récente en 2023. Une générosité dont l’Hexagone ne s’est jamais montrée capable envers Alger sur son propre sol.
Des accords déséquilibrés qui profitent largement à la France
Cet avantage immobilier n’est que la partie émergée d’un système d’accords inégaux entre les deux pays. L’exemple le plus révélateur reste l’accord de 1968 sur le statut des Algériens en France. Ce texte, souvent dénoncé par Paris comme un «privilège migratoire», masque pourtant les véritables bénéficiaires : la France elle-même. L’apport de la main-d’œuvre algérienne a joué un rôle majeur dans le développement économique du pays, notamment après la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, aucune contrepartie similaire n’a jamais été accordée aux Algériens souhaitant investir ou travailler en France.
L’accord de 1994, qui régit les investissements et échanges commerciaux entre les deux États, illustre aussi cette asymétrie criante. Il a permis aux entreprises françaises d’accéder à des conditions extrêmement favorables sur le marché algérien, tandis que les entreprises algériennes peinent à s’implanter en France. Encore une fois, la balance penche clairement en faveur de l’économie française.
La fin d’une hypocrisie diplomatique ?
Si Paris veut réellement discuter de respect des engagements et d’équilibre dans les relations bilatérales, alors mettons tout sur la table. Qui, de l’Algérie ou de la France, a le plus profité des traités passés ? Qui a véritablement manqué à ses obligations ?
Il est temps de mettre fin aux discours biaisés et aux manipulations politiques qui servent avant tout des agendas électoralistes. Loin d’être un pays «profiteur», l’Algérie a trop longtemps consenti à des concessions dont seule la France a tiré parti. Si cette dernière veut aujourd’hui exiger des comptes, elle devra commencer par en rendre elle-même.
G. Salah Eddine