Kalem Abderrahmane, PDG de Kalemarchi, à Alger16 : «Notre mémoire, votre avenir numérique»

À l’heure où le pays mise résolument sur la souveraineté technologique et la transition digitale, un secteur longtemps perçu comme poussiéreux vit une véritable révolution silencieuse : celle des archives. Kalemarchi, start-up audacieuse fondée par Abderrahmane Kalem, bouscule les codes. À la croisée des sciences de l’information, de l’intelligence artificielle et de la cybersécurité, elle réinvente notre rapport à la mémoire nationale. Et ce, avec une ambition claire : faire du passé un levier stratégique pour l’avenir. Curieux de comprendre comment cette aventure est née et ce qu’elle raconte de l’Algérie qui innove, Alger16 a échangé avec son fondateur. Dans cet entretien, il nous ouvre les portes d’un projet à la fois visionnaire, ancré dans le réel… et porteur de fierté nationale.

Entretien réalisé par G. Salah Eddine

Vous êtes le PDG de Kalemarchi, une start-up révolutionnaire dans le domaine des sciences de l’information et des archives. Dites-nous ce qui vous a poussé à créer cette entreprise ?
Ce qui m’a poussé à créer Kalemarchi est un constat simple mais alarmant : notre patrimoine archivistique, si riche soit-il, est vulnérable. Le papier se dégrade, l’encre s’efface, et avec eux, des pans entiers de notre histoire risquent de disparaître. J’ai vu une opportunité unique de marier ma passion pour l’histoire algérienne avec les avancées technologiques. Il ne s’agissait pas seulement de scanner des documents, mais de concevoir une solution souveraine, intelligente et entièrement conforme aux standards exigeants de la Direction générale des archives nationales (DGAN), une solution qui pourrait non seulement sauver notre mémoire, mais aussi lui donner une nouvelle vie à l’ère du numérique.

Quelle est le mot d’ordre de Kalemarchi Agency ?
Notre mot d’ordre est : notre mémoire, votre avenir numérique. Cette phrase résume notre double mission. D’une part, la préservation de notre mémoire collective, l’histoire de l’Algérie contenue dans des millions de documents. D’autre part, la transformation de ce patrimoine en un atout stratégique pour l’avenir, accessible, intelligent et sécurisé.

Comment voyez-vous l’évolution du métier d’archiviste dans 5 à 10 ans, à l’ère du tout-numérique ?
Le métier d’archiviste est en pleine révolution. L’image de l’archiviste gardien d’un dépôt poussiéreux est révolue. Dans 10 ans, l’archiviste sera un architecte de l’information stratégique. Son rôle ne sera plus de classer des boîtes, mais de structurer des bases de données, de garantir l’intégrité et la pérennité des données numériques et de concevoir des systèmes de recherche intelligents. Il deviendra un expert en métadonnées, en cybersécurité, en gouvernance des données et en intelligence artificielle. Il sera le garant de l’authenticité de l’information à l’ère des fake news. Chez Kalemarchi, nous ne remplaçons pas les archivistes, nous leur donnons des outils surpuissants pour qu’ils deviennent les pilotes de cette transition numérique cruciale.

Kalemarchi Agency prévoit-elle d’intégrer des technologies comme la blockchain ou le cloud souverain pour ses services ?
Absolument. Ce n’est pas une simple prévision, c’est au cœur de notre stratégie de sécurité et de souveraineté. Le cloud souverain est une condition non négociable pour nous. Les archives d’une nation sont un actif de souveraineté. Il est impensable de les héberger sur des clouds étrangers, soumis à des lois extraterritoriales. Nous travaillons exclusivement avec des partenaires algériens ou développons nos propres infrastructures pour garantir que les données de l’État et de nos institutions restent en Algérie, sous la juridiction algérienne.
La blockchain est la prochaine étape logique pour garantir l’infaillibilité de l’archive numérique. Elle nous permettra de créer un registre distribué et immuable de chaque document numérisé. Chaque action (création, consultation, modification autorisée) sera “horodatée” et scellée dans la blockchain, offrant un niveau de traçabilité et de preuve d’intégrité inégalé. C’est la réponse technologique ultime à la question : “Comment être certain que ce document numérique est une copie conforme et qu’il n’a jamais été altéré ?”

Comment percevez-vous l’écosystème des start-up en Algérie aujourd’hui ?
Je le perçois comme un écosystème en pleine effervescence, vibrant d’énergie et de potentiel. Nous avons une jeunesse talentueuse, formée dans nos universités, qui ne demande qu’à innover. Le soutien de l’État, à travers des fonds d’investissement et des incubateurs, a créé une dynamique très positive.
Bien sûr, des défis subsistent : la fluidité des procédures administratives, l’accès à des financements plus conséquents pour passer à l’échelle, et le besoin de renforcer la culture du risque. Mais je suis fondamentalement optimiste. Chaque nouvelle start-up qui réussit, comme nous aspirons à le faire, ouvre la voie à dix autres. Nous sommes en train de construire, collectivement, les futurs champions de l’économie numérique algérienne.

Entreprendre dans l’archivage ou la gestion de l’information n’est pas commun : comment faire pour innover dans un domaine souvent perçu comme “classique” ou administratif ?
C’est justement parce que ce domaine est perçu comme “classique” qu’il représente une formidable opportunité d’innovation. C’est ainsi qu’il faut voir les choses. L’innovation ne réside pas dans le fait de scanner un papier, mais dans ce que l’on fait de l’information une fois numérisée.
Chez Kalemarchi, nous innovons sur trois axes. D’abord, la technologie. Nous intégrons l’IA pour la reconnaissance optique de caractères (OCR) avancée, y compris sur des écritures manuscrites arabes anciennes. Notre IA aide aussi à l’indexation automatique, en suggérant des mots-clés et des thématiques, ce qui rend la recherche exponentiellement plus rapide et pertinente.

Après l’axe de la technologie vient le 2e axe que j’appelle «le processus». Ce qui est intéressant dans «le processus», c’est que nous ne numérisons pas en vrac. Nous créons des chaînes de traitement complètes, sécurisées et conformes aux normes, du dépoussiérage du document physique à son “scellement” numérique avec signature électronique et code-barres de traçabilité.
Enfin, l’accès ! Cela consiste à transformer un fonds d’archives passif en une base de connaissances active. Nous développons des interfaces de recherche sémantique permettant de trouver une idée, un concept, une relation entre des documents, et pas seulement un mot-clé. C’est là que réside la véritable révolution.

Le ministère de la Justice vient de lancer plusieurs centres régionaux pour la numérisation des archives judiciaires à Oran, Béchar ou encore Constantine. Quelle lecture faites-vous de cette initiative du secteur public ?
C’est une excellente nouvelle et une validation éclatante de l’importance stratégique de la numérisation. Cette initiative du ministère de la Justice est un signal fort : l’État prend la pleine mesure de l’enjeu et s’engage concrètement. En tant qu’opérateur privé, nous ne voyons pas cela comme une concurrence, mais comme un appel d’air pour tout le secteur. Le secteur public définit la vision et les besoins et les start-up comme Kalemarchi peuvent apporter l’agilité, l’expertise technologique de pointe et des solutions spécialisées pour accélérer et sécuriser ces projets. Notre logiciel, qui intègre déjà les normes DGAN et des fonctionnalités avancées comme la signature électronique, est parfaitement positionné pour accompagner ces grandes institutions dans leur transformation. Nous sommes des partenaires naturels de l’État dans cette mission.

L’Algérie a lancé une ambitieuse stratégie «Algérie numérique 2030» avec un accent mis sur la gouvernance des données. La dernière directive présidentielle fait d’ailleurs de la numérisation des archives une priorité nationale. En quoi Kalemarchi contribue-t-elle à cette vision ?
C’est vrai. Je dirais que Kalemarchi est la concrétisation directe de cette vision présidentielle. Nous sommes un acteur opérationnel de la stratégie “Algérie numérique 2030”. Notre contribution est multiple. On contribue à la souveraineté des données et ce, en fournissant une solution algérienne, hébergée en Algérie, nous contribuons directement à la construction de la souveraineté numérique du pays.
Kalemarchi contribue, en outre, à la modernisation de l’administration. On réussit à le faire en fournissant les outils pour rendre l’administration plus efficace, plus transparente et plus résiliente. Une archive numérique accessible permet des prises de décision plus rapides et mieux informées. Notre start-up contribue en outre à la gouvernance des données. Notre système est une brique essentielle pour une gouvernance des données saine. Il permet de savoir qui accède à quoi, quand, et pourquoi, tout en garantissant l’intégrité de l’information.
Enfin, on permet également de valoriser notre patrimoine. Car oui, au-delà de la conservation, nous transformons les archives en un actif numérique qui peut être valorisé par la recherche, l’éducation et même de nouvelles industries créatives.

Votre logiciel a été conçu à l’Université d’Alger 2. Comment cette collaboration universitaire a-t-elle contribué au développement technologique et stratégique de votre projet ?
La collaboration avec l’Université d’Alger 2, et plus largement avec le monde académique, a constitué le socle fondateur de Kalemarchi. Cette alliance a été décisive à plusieurs égards, tant sur le plan scientifique que stratégique. Elle nous a d’abord ouvert l’accès à une expertise de pointe en sciences de l’information, en histoire et en linguistique. Pour entraîner notre intelligence artificielle à la lecture de manuscrits arabes du XIXe siècle, le recours à des historiens et des linguistes s’est révélé aussi indispensable que celui des informaticiens.
En parallèle, le projet a vu le jour dans un environnement de recherche et de développement, ce qui nous a permis d’ancrer notre démarche dans des bases théoriques solides avant d’envisager une phase de développement commercial. Ce socle académique a renforcé notre crédibilité et notre rigueur méthodologique, deux éléments essentiels à la pérennité de toute entreprise innovante.
De plus, cette collaboration a constitué une véritable pépinière de talents. Une grande partie des membres de notre équipe technique et archivistique sont issus de ce vivier universitaire exceptionnel, preuve que l’université peut être un moteur de compétitivité et d’excellence pour les start-up à haute valeur ajoutée.
Cette synergie entre l’université et l’entreprise n’est pas un partenariat ponctuel, mais un modèle que nous nous attachons à faire vivre et à développer. Elle représente, à nos yeux, la meilleure garantie d’une innovation continue, pertinente et enracinée dans les réalités culturelles et scientifiques du pays.

En tant que fondateur-PDG, quel a été votre plus grand apprentissage depuis la création de cette start-up ?
Mon plus grand apprentissage est sans doute la nécessité de maîtriser l’art de la traduction. Pas entre l’arabe et le français, mais entre le langage de l’administration et celui de la technologie. Il faut savoir traduire les besoins complexes et réglementés du monde de l’archivage en spécifications techniques claires pour les développeurs. Et inversement, il faut savoir expliquer les potentialités (et les limites) d’une technologie comme l’IA à des décisionnaires du secteur public.
Créer Kalemarchi, c’est construire un pont entre deux mondes qui, traditionnellement, ne se parlaient pas assez. Mon rôle est d’être l’ingénieur en chef de ce pont, en m’assurant qu’il est solide, fiable et qu’il permet à l’information de circuler librement et en toute sécurité.

Quel est votre rêve ultime pour Kalemarchi ?
Notre ambition est double. À l’échelle nationale, nous voulons devenir le partenaire technologique de référence pour la sauvegarde et la valorisation de la mémoire algérienne. Nous voulons que chaque administration, chaque institution, chaque entreprise qui possède un patrimoine documentaire pense à Kalemarchi comme la solution évidente, la norme d’excellence.
À l’échelle internationale, notre ambition est d’exporter ce savoir-faire algérien. Le défi de la numérisation des archives est partagé par de nombreux pays, notamment en Afrique et dans le monde arabe. Nous avons développé une expertise unique, adaptée à nos contextes culturels et linguistiques. Notre ambition est de faire de Kalemarchi un leader régional, une fierté technologique algérienne qui rayonne au-delà de nos frontières. Merci encore pour votre temps.
G. S. E.

ALGER 16 DZ

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