
Que savez-vous vraiment de Messaâd (76 km de Djelfa) ? Cette ville discrète, nichée au cœur de l’Algérie profonde, que l’on traverse souvent sans la connaître, cache derrière ses collines et ses plaines ocres un patrimoine qui n’attend que d’être découvert. Invité par l’Office national du tourisme, Alger16 est parti sur ses routes pour explorer cette région et ses monuments insoupçonnés. Ce que nous y avons découvert dépasse largement l’image qu’on se fait de cette région – une Algérie authentique, vibrante et encore secrète. Embarquez avec nous pour un voyage inattendu au cœur de l’Algérie profonde.
Reportage de notre envoyé spécial à Djelfa, G. Salah Eddine
Notre périple débute la matinée et après plus de 5h de route, nous arrivons enfin sur place. Accueillis par des membres de l’ONT, nous profitons d’un petit moment pour nous reposer, ensuite nous prenons la route. Elle nous conduit vers la commune de Sed Rahal, première étape de notre tournée, et s’étire comme un ruban clair à travers les plaines ocres. Le vent souffle sec, mais la vie palpite partout : de petites oasis surgissent au loin, ponctuées de palmiers élancés et de sources claires. Notre bus s’arrête brusquement, ses roues enlisées dans un passage boueux. À peine dix minutes plus tard, des habitants apparaissent, un à un, pour nous aider. Sourires francs, mains tendues : la solidarité ici est instinctive. Le président de l’APC local nous explique qu’un projet de route sur huit kilomètres est déjà prévu pour désenclaver la zone et faciliter l’accès des familles et des visiteurs.
Enfin, nous atteignons «Oued El ». Devant nous, un filet d’eau bordé de dattiers dessine un tableau presque biblique. Le nom, qui signifie ouverture et abondance, semble raconter à lui seul l’esprit de ce territoire. Sous mes doigts, je touche des roches gravées : des fresques rupestres, témoins d’un Sahara qui n’a jamais cessé d’être habité. Autour des palmiers, des enfants jouent et rient. Selon le président de l’APC, l’endroit est sûr : «Il n’y a presque jamais eu d’accident ici.» Le temps s’étire, lent et puissant comme le vent du désert. Sur une terrasse naturelle, nous observons le soleil disparaître derrière les dunes. À ce moment précis, je comprends pourquoi on surnomme cette région «Messaâd la discrète» : elle ne cherche pas à éblouir, elle envoûte. La nuit tombe, douce et étoilée, et nous rejoignons notre gîte.
Le lendemain matin, samedi, l’ambiance est joyeuse : c’est la Journée mondiale du tourisme. Nous partageons un petit-déjeuner mêlant croissants, millefeuilles et gâteaux locaux avec l’équipe médiatique et les acteurs de la société civile, dont plusieurs présidents d’association. Bientôt, les guides locaux nous rejoignent et nous reprenons la route.
Devant nous se dessine un paysage d’oasis et de villages anciens, dominé par des montagnes désertiques aux contours presque irréels. L’impression est si forte qu’on croirait pouvoir serrer ces montagnes dans nos bras. Ironie du sort, nous finissons par en escalader une. La montée est exigeante, ponctuée de petites cascades inattendues. Les associations locales nous confient qu’elles espèrent des infrastructures touristiques ici, mais nous montons quand même, jeunes et impatients, en aidant les plus âgés du groupe à gravir les pentes.
Tout en haut, le vent nous enveloppe d’une fraîcheur saisissante. Nous découvrons alors les ruines du palais de Démed, appelé par les habitants «palais El Qaâda». Ce lieu, qui domine la vallée à 1 000 m d’altitude, n’est pas une simple ruine : c’est une ancienne forteresse militaire romaine, vestige du point le plus profond atteint par l’Empire romain en Afrique du Nord. Son nom viendrait de Calcitium Demidi, chef de la région, et l’édifice remonterait à près de deux siècles avant notre ère. Le site respire encore l’histoire et offre une vue panoramique sur Messaâd et ses environs, une véritable vigie sur le désert.
La descente est tout aussi périlleuse, mais l’adrénaline est montée et nous rions. Nous ignorons à ce moment que l’après-midi nous réserve un site encore plus surprenant, un lieu pourtant absent des brochures touristiques mais capable de marquer l’imaginaire pour longtemps. D’abord, nous prenons la route vers le centre-ville. Dans l’enceinte de la Direction locale du tourisme, un Salon de l’artisanat s’anime sous nos yeux. Des mains expertes tressent des nattes, sculptent le bois, brodent des burnous aux fils d’or. Les femmes des villages voisins viennent présenter leurs dattes, leurs poteries vernissées, leurs épices. Pleins de stands de kachabia sont là.. c’est plus qu’un vêtement, c’est tellement vaste et ça revient à la mode. Des ateliers de fabrication de robes nailies sont aussi là. Et surtout, tout le monde dancend et chante aux rythmes locaux devant l’entrée principale.
Dans un coin, un musicien fait vibrer un bendir. La secrétaire générale de la wilaya déléguée passe saluer les exposants. Ici, la tradition n’est pas un folklore figé mais une économie vivante, un langage d’avenir.
C’est magnifique, les sourires ne nous quittent pas, encore plus quand on nous ramène le rfis et la chakhchoukha sucrée locale. Elle est accompagnée d’un verre de lait de vache soigneusement récolté. Les enfants nous regardent les yeux impressionnés devant nos micros, nos caméras et les diffrents animateurs parlant en arabe et français avec nous. C’était plaisant à voir qu’une simple attention accordée à cette région et ces gens peut dessiner autant de sourires sur les lèvres. C’est magnifique, nous avons compris l’humilité et que peu importe d’où l’on vient, tout notre peuple est uni.
Un homme a entendu que nous sommes en visite et aussitôt, nous avons été invités par pleins de gens chez eux. Finalement, nous suivons un homme qui habite à quelques pas d’ici. Il nous ouvre les grandes portes de son salon et les femmes ont été accueillies par les voisines. Ici, tout le monde s’assoit par terre et les tables font à peine 20 cm de hauteur. D’abord, on nous sert une délicieuse hrira et à peine terminée, on se fait surprendre. C’est un grand mouton mechoui qui est déposé sur la table. Ces gens sont allés jusqu’à nous offrir tout un mouton, en guise d’accueil. Nous étions impressionnés et surtout gênés. Nous ne savions pas comment les remercier. Et Dieu, merci, ils ne voulaient même pas des remerciements. C’est dans leur nature. Ils nous servent même pleins de fruits dont des grenades, des raisins, des bananes et des pêches avec, bien sûr, du thé local, des cacahuètes et des noix. Nous n’avons jamais autant mangé, qu’à notre arrivée à Messaâd.
À la fin de ce repas inoubliable, l’un de nos hôtes nous réunit, hommes et femmes, dans un cercle. Il récite la Fatiha et prononce des invocations pour chacun de nous. Un moment suspendu, simple et puissant. Après ce déjeuner, notre petite caravane repart vers ce qui sera sans doute l’un des lieux les plus «out of this world» de notre tournée : Amoura. À mesure que nous avançons, des pans de murailles romaines se devinent entre les herbes folles. Nous grimpons une butte et la vue embrasse tout Messaâd, ses plateaux et ses vallées. «C’est notre petite Pompéi», sourit un historien local. L’eau réapparaît sous forme de cascades et de grottes mystérieuses. Nous progressons à l’ombre fraîche de cavités préhistoriques, anciennes habitations datant de plusieurs millénaires. Une cascade magnifique nous accueille au centre de cette ville antique méconnue. L’eau de la fontaine est douce, fraîche, et se déverse sur une citadelle endormie. Plus loin, les montagnes se dressent, rouges et rugueuses, comme sur une autre planète. Certains comparent ces paysages aux westerns américains ; d’autres y voient une Mars terrestre. Le contraste est saisissant : en quelques kilomètres, Messaâd vous fait traverser dix mille ans et mille paysages.
À la fin de notre parcours, nous tombons sur une petite cité aux maisons anciennes et une modeste mosquée pourtant centenaire. Nous savons qu’il est temps de repartir, mais nous gardons l’impression d’avoir touché un autre monde.
La journée s’achève dans une exploitation agricole dédiée à la grenade. À perte de vue, des rangées d’arbres alignent leurs fruits rouges, éclatants sous un soleil déclinant. Les responsables locaux nous parlent d’agrotourisme : ici, l’ambition est de mêler agriculture et accueil touristique, d’offrir aux visiteurs non seulement des paysages mais aussi des saveurs, des savoir-faire et des rencontres. L’idée est claire : créer une dynamique positive qui lie la terre aux hommes et attire de nouveaux voyageurs.
Nous prenons ensuite la direction de la mosquée Al Atik, dont l’histoire raconte à elle seule un pan du passé algérien. Ancienne église française édifiée en 1850, elle est aujourd’hui en pleine restauration. Les échafaudages masquent encore ses lignes, mais chacun imagine déjà la splendeur retrouvée de ce lieu, témoin de plusieurs époques. Dans quelques mois, promettent les ouvriers, elle sera de nouveau ouverte aux fidèles et aux curieux.
La nuit tombe. Le ciel constellé s’étend au-dessus de nous, immobile et profond. Et je me dis que c’est peut-être cela, le vrai luxe du tourisme en Algérie : l’impression rare de toucher l’authenticité sans filtre, avec ses parfums, ses couleurs et ses aspérités.
Le 28 au matin, nous reprenons la route de la capitale. Le minibus file et les paysages de Messaâd s’effacent peu à peu. Dans ce mouvement de retour, je mesure le privilège d’avoir découvert un «bout du monde» à seulement quelques heures d’Alger. Des sources aux gravures rupestres, des mosquées antiques aux forteresses oubliées, cette wilaya déléguée condense tout ce qui peut séduire le voyageur : une histoire longue, une nature brute, une hospitalité sincère. En quittant Messaâd, je ne vois plus seulement un nom sur une carte mais une promesse : celle d’un tourisme algérien capable, s’il se donne les moyens, de rivaliser avec les grandes destinations du monde.
G. S. E.