Il y a des pays qui ne se laissent pas apprivoiser d’un coup d’œil. L’Algérie est de ceux-là. Elle se dévoile à qui prend le temps de la traverser, d’en écouter les murmures, de sentir ses odeurs et de lire ses paysages comme on feuillette un livre sacré. Plus qu’une destination, c’est une exploration semblable à celles des anciennes conquistada espagnoles.
Par G. Salah Eddine
On pourrait sourire en entendant de grands discours sur le potentiel touristique algérien. Après tout, il y a dix ans à peine, le pays n’attirait pas plus d’un million de visiteurs, en majorité issus de sa diaspora. Et pourtant, croyez-le ou non, cette exploration vous marquera à jamais. Car l’Algérie n’est pas un simple décor : c’est un voyage, un parfum, une lumière. Imaginez votre périple commencé à Alger, la Blanche. Sur ses hauteurs, la Casbah se dresse, citadelle vivante vieille de plusieurs siècles, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ses ruelles étroites, ses maisons blanchies à la chaux, ses artisans au travail vous plongent dans une mémoire qui n’a jamais cessé de battre. À quelques minutes de là, rendez-vous au Jardin d’essai d’El Hamma. Un parc énorme qui déroule ses allées ombragées, abritant une collection botanique qui rassemble des plantes venues des quatre coins du monde. En levant légèrement les yeux, vous apercevez le majestueux Maqam al-Chahid, monument de mémoire et lieu de recueillement dédié à l’histoire de la lutte d’un peuple qui ne connaît pas la peur. Dans ses musées, photos, objets et témoignages racontent cette épopée collective ; et au fil des salles, on comprend à quel point l’identité algérienne est faite de dignité et de fierté. Vous aurez l’impression de comprendre la “mentalité de l’Algérien”. Cependant, une question vous tracassera toujours, d’où tiennent-ils ceci ? C’est en grande partie dû à leur foi. Voulez-vous désormais en comprendre plus sur cette foi ? Pas de problème. À quelques kilomètres de là, une autre étape impressionnante vous attend : Djamaâ El Djazaïr, la troisième plus grande mosquée du monde. Ses marbres, ses calligraphies et son minaret élancé sont autant d’invitations à découvrir la foi et les valeurs qui irriguent ce pays. Du haut de son minaret, une vue imprenable embrasse toute la capitale et la Baie d’Alger. En sortant, traversez la route et accordez-vous une pause au grand parc des Sablettes. Là, les familles algériennes se promènent, les enfants jouent, vous réchauffant le coeur, les odeurs de friandises flottent dans l’air, les vagues viennent mourir sur le rivage. C’est un moment de douceur, un instant où l’on touche du doigt la vie quotidienne du pays. Puis reprenez votre route. Longez la corniche, le bleu profond de la Méditerranée à votre droite, déjà, l’Algérie vous prend par la main et vous invite à aller plus loin, au-delà des clichés, au-delà des chiffres, pour découvrir un territoire en pleine métamorphose. Cap sur Tipaza et Cherchell ! Ici, les Ruines romaines, ouvertes sur la mer, racontent des histoires vieilles de deux millénaires. Des colonnes brisées au milieu des oliviers, es mosaïques à demi enfouies dans l’herbe : on marche ici sur le fil du temps. Sur la côte plus à l’est, Béjaïa et Jijel dévoilent leurs criques secrètes, leurs falaises abruptes plongeant dans l’eau claire, leurs forêts qui descendent jusqu’au rivage. Puis la route monte vers la Kabylie. Dans le Djurdjura, vous respirez l’air froid des cèdres, vous longez des sentiers escarpés et visitez des villages berbères aux maisons en pierre. Le soir, vous partagez un thé à la menthe avec les habitants, dégustez un fromage local, écoutez une vieille légende au coin du feu. Le paysage, la gastronomie, la culture : tout se fond ici dans une harmonie douce. Et soudain, changement d’univers : un vol intérieur vous mène à Tamanrasset, aux portes du Sahara. À mesure que l’avion descend, le désert s’étend à l’infini, taches d’or et de brun, reliefs volcaniques noirs. Vous êtes dans le Hoggar, massif mythique où le mont Tahat se dresse comme un géant. Les couchers de soleil y sont des incendies de couleurs et la nuit, les étoiles semblent si proches que l’on croit pouvoir les cueillir. De là, cap sur Djanet, à la porte du Tassili n’Ajjer. Vous pénétrez dans un autre monde : canyons ocres, arches naturelles, falaises sculptées par l’érosion. Au détour d’un rocher, des gravures rupestres racontent l’histoire d’hommes et d’animaux disparus. Dans une oasis, vous goûtez l’eau fraîche d’un puits, vous marchez pieds nus sur le sable fin. Le désert n’est pas vide, il est plein de signes. En repartant vers le nord, vous découvrez la vallée du M’Zab, à Ghardaïa. Les ksour aux murs blancs, les minarets pointus, les ruelles voûtées dessinent une cité conçue pour le climat du désert. Ici, la vie communautaire et l’architecture fonctionnelle se mêlent à une spiritualité paisible. Dans les marchés, l’artisanat local — tapis, poteries, bijoux — raconte encore une autre Algérie. On pourrait continuer à écrire pendant des heures, mais on va se contenter de ces quelques lignes. En quittant l’Algérie, on le comprend. C’était plus qu’un voyage, c’était une traversée intérieure.
Ce “voyage” n’est pas qu’une succession de paysages : c’est une immersion dans un pays aux mille facettes. Chaque région a sa musique, sa cuisine, ses gestes, ses couleurs. Chaque étape est une rencontre avec une histoire, une culture, un peuple.
Une merveille sous-exploitée
En entendant les chiffres et discours, on pourrait imaginer l’Algérie comme un pays où des millions de voyageurs du monde entier se pressent chaque jour dans ses aéroports. La réalité est plus nuancée. Bien que le tourisme ait fortement progressé ces trois dernières années, atteignant aujourd’hui environ 3,7 millions de visiteurs, le pays reste encore loin des volumes qu’il pourrait accueillir, au regard de l’étendue de ses richesses et de ses atouts naturels et culturels. Cette croissance est réelle, mais elle n’est qu’un début. En toile de fond, l’Algérie sait qu’elle dispose d’un potentiel touristique immense, encore largement sous-exploité. Un littoral de plus de 1 000 kilomètres, bordé de criques sauvages, de plages de sable doré et de villes chargées d’histoire. Des chaînes montagneuses comme l’Atlas tellien ou les Aurès, véritables balcons sur la Méditerranée et berceaux de cultures millénaires. Un désert mythique, le plus grand du monde, qui déroule ses ergs, ses oasis et ses formations rocheuses spectaculaires comme celles du Tassili n’Ajjer. À cela s’ajoutent sept sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, témoins de civilisations anciennes et d’une histoire qui a façonné l’âme du pays. Aujourd’hui, les infrastructures restent encore limitées et ne reflètent pas toujours l’ampleur de ce potentiel, mais elles commencent à s’améliorer. Des projets hôteliers se développent, des stations balnéaires et des complexes sahariens sont en cours d’aménagement, les routes et les dessertes aériennes se renforcent peu à peu et les autorités multiplient les appels à un tourisme plus durable et authentique. L’accent est mis sur la mise en valeur des circuits intérieurs, la formation des acteurs locaux, l’investissement dans des structures d’accueil de qualité et la simplification progressive des procédures administratives pour faciliter l’arrivée des visiteurs étrangers. Mais pour le voyageur curieux, l’essentiel est déjà là. L’Algérie est un pays à explorer comme on découvre un continent : riche, contrasté, sincère. Ses paysages, son patrimoine, ses habitants offrent une matière brute et authentique qu’aucun décor artificiel ne saurait égaler. Dans chaque ville, chaque oasis, chaque village perché, se cachent des histoires, des saveurs, des visages qui transforment le séjour en expérience unique. C’est cette promesse, encore discrète mais bien réelle, qui fait de l’Algérie une destination à la fois en devenir et déjà fascinante. En tout cas, espérons que cela s’améliorera. Le but des autorités locales est de dépasser les 10 millions de touristes en 2030, cela reste très optimiste, disons-le clairement, mais pourquoi pas ? Notre pays est une terre de miracles et chaque minute sur son sol nous le rappelle encore plus. Aujourd’hui, l’Algérie n’est pas un simple décor, c’est une invitation : à ralentir, à contempler, à écouter. À retrouver dans un seul pays, la mer et le désert, la montagne et l’oasis, l’Antiquité et la modernité. Et à faire partie, le temps d’un séjour, de son récit millénaire.
G. S. E.
