La neutralisation de six terroristes et la récupération d’armes de guerre dans la wilaya de Tébessa, au sein de la 5ᵉ Région militaire, ont marqué l’actualité sécuritaire algérienne. Mais derrière ce bilan chiffré se dessine une stratégie plus profonde : celle d’une armée qui conjugue anticipation, présence et communication. Les analyses croisées de deux experts en géopolitique, Dr Oussama Bouchekmah et Dr Anis Boukeider, lors de l’emission «Hadith Al-Djazair», diffusée mercredi dernier sur la chaîne de télévision AL24 News, en donnent la mesure.
Pour Dr Oussama Bouchekmah, le déplacement du chef d’état-major sur le théâtre de l’opération est un message fort. Il explique : «Le fait que le chef d’état-major se rende personnellement dans la 5ᵉ région militaire et rencontre ces hommes est une preuve claire et évidente du soutien dont bénéficie le commandement militaire dans la lutte contre le terrorisme et de sa détermination à éradiquer totalement ce fléau.»
Autrement dit, ce déplacement traduit une détermination sans équivoque : celle d’un haut commandement qui soutient ses troupes et affiche son engagement devant l’opinion publique.
L’expert souligne aussi que cette présence vaut pour l’intérieur comme pour l’extérieur : «C’est à la fois un message interne et un message externe… L’institution militaire se tient avec fermeté et responsabilité, les yeux rivés sur la protection des frontières et de la société.»
À l’intérieur, c’est une réassurance adressée à la population ; à l’extérieur, c’est une démonstration de souveraineté et de fiabilité.
Une opération complexe dans un environnement sensible
De son côté, le Dr Anis Boukeider insiste sur la nature et l’ampleur de l’opération : «Au premier degré, il y a un travail de renseignement colossal… Réussir à localiser six terroristes dans un même endroit implique un effort d’intelligence extrêmement poussé dans une zone frontalière complexe et difficile – le triangle Algérie–Tunisie–Libye.»
Dans cette zone traditionnellement utilisée comme refuge par les groupes armés et criminels, l’Armée nationale populaire a prouvé sa capacité à «déchiffrer ces codes puis à neutraliser ces terroristes, ce qui est en soi un message de dissuasion adressé aux autres organisations».
Cette dimension de renseignement et d’anticipation est d’autant plus importante que, selon Bouchekmah, «il est aujourd’hui connu qu’en Afrique, il y a un mouvement de “relocalisation” du terrorisme… Sur les dix pays les plus touchés par le terrorisme dans le monde, huit sont africains».
Dans ce contexte continental, la vigilance de l’Algérie apparaît comme un bouclier : «L’Algérie, grâce à son expérience de lutte contre le terrorisme – une expérience pionnière reconnue mondialement – est passée de la prévention à l’anticipation.»
Une approche globale
L’un comme l’autre voient dans cette opération un symbole de l’approche algérienne. Le Dr Boukeider rappelle : «L’Algérie adopte une approche globale de lutte contre le terrorisme, combinant l’aspect sécuritaire et l’aspect développemental.»
Même si l’opération de Tébessa est avant tout sécuritaire, elle s’inscrit dans un continuum où l’armée agit en synergie avec l’État et ses politiques publiques pour priver les groupes terroristes de tout sanctuaire et tarir leurs financements issus de trafics et de criminalité organisée.
Cette adaptation permanente est, pour lui, une preuve de maturité stratégique : «Au fil des années, l’Algérie n’a pas figé sa doctrine de combat mais l’a adaptée pour réagir à ce type de confrontation. Car le terrorisme actuel se combine à d’autres menaces – crime organisé, drogue – et se nourrit de son environnement naturel (montagnes, grottes…).»
Des messages adressés aux partenaires et aux citoyens
Tous deux insistent sur la double portée de l’action. À l’extérieur, c’est un signal de stabilité destiné aux partenaires sécuritaires et aux investisseurs. Bouchekmah explicite :
«L’Algérie se tourne aujourd’hui vers les investissements économiques, vers l’Afrique… Certains peuvent imaginer que ce pays n’est pas sûr. Mais les hommes disent : “Nous sommes ici, nous sommes la garantie de sécurité pour l’Algérie.”»
À l’intérieur, c’est une assurance donnée aux Algériens. «Il n’y a aucun sanctuaire sûr pour les groupes terroristes, même dans les montagnes et les zones frontalières», résume le Dr Boukeider.
En transmettant sur place les félicitations du président de la République, le Chef d’état-major a aussi incarné la convergence entre autorité politique et commandement militaire. Le Dr Boukeider y voit «la preuve que l’État algérien, à son plus haut niveau, considère la lutte contre le terrorisme comme une priorité absolue. C’est aussi un message aux partenaires sécuritaires étrangers – par exemple aux États-Unis – qui considèrent déjà l’Algérie comme leur premier partenaire dans la région en matière de lutte antiterroriste».
Une doctrine de l’anticipation
Ce que révèlent ces analyses, c’est moins un «coup de force» ponctuel qu’une transformation doctrinale : passer d’une posture défensive à une logique d’anticipation et d’action intégrée. Comme le résume Bouchekmah : «Nous sommes passés de la prévention à l’anticipation dans la lutte contre le terrorisme.»
Un glissement stratégique qui répond à l’évolution du terrorisme en Afrique et à la nécessité pour l’Algérie de protéger simultanément son territoire, ses citoyens et ses ambitions économiques. M. Boukeider insiste : «C’est un message de sécurité et de sérénité pour l’intérieur comme pour l’extérieur dans un contexte africain marqué par des recompositions économiques et sécuritaires.»
Cette évolution marque donc bien plus qu’une réussite opérationnelle : elle consacre l’affirmation d’une doctrine algérienne de lutte contre le terrorisme fondée sur l’anticipation, la dissuasion et l’intégration du développement aux impératifs sécuritaires. En envoyant ce signal à ses citoyens comme à ses partenaires étrangers, l’Algérie confirme sa capacité à rester un acteur pivot de la stabilité régionale et à transformer ses défis sécuritaires en levier d’affirmation souveraine et de projection économique.
G. Salah Eddine
