Aïcha Beya Mammeria (experte en environnement et professeure en sciences de l’écosystème) à Alger16 : «Planter, c’est un acte d’espoir… mais entretenir, c’est un engagement pour la vie»

La Pr Aïcha Beya Mammeria, une voix engagée en matière d’environnement et de développement durable, spécialiste des politiques climatiques et professeure en sciences de l’environnement, a consacré sa carrière à la préservation des écosystèmes, à la gestion des ressources naturelles et à la sensibilisation des citoyens aux défis écologiques. Dans un entretien accordé à Alger16, elle revient sur l’ambitieuse opération nationale de plantation d’un million d’arbres en une seule journée, une initiative lancée par le ministère de l’Agriculture et du Développement rural, en partenariat avec l’association «Algérie Verte».

Entretien réalisé par Cheklat Meriem

Alger16 : Le ministère de l’Agriculture a annoncé une mission d’envergure, qui a eu un très grand écho : planter un million d’arbres en une seule journée. Selon vous, cet objectif est-il réaliste d’un point de vue logistique et écologique ?
Aïcha Beya Mammeria :
Ce projet national, initié par le ministre de l’Économie, de la Connaissance, des Start-up et des Micro-entreprises, Yacine Oualid, avec le soutien de l’association «Algérie Verte», est un nouvel élan pour maximiser les opportunités existantes. Il adopte une approche holistique axée sur quatre domaines clés afin de lutter contre la désertification et les effets de la crise climatique : planter des arbres, améliorer les revenus, restaurer et protéger les terres. Néanmoins, la dégradation extensive des terres et des forêts dans le pays représente non seulement un défi majeur pour l’Algérie, mais aussi une opportunité significative pour l’investissement et la restauration à grande échelle.
L’objectif de planter un million d’arbres en une journée est réalisable sur le plan logistique, grâce à une mobilisation massive de participants et de ressources. D’un point de vue écologique, cette initiative est positive, car elle vise à renforcer le couvert végétal et à lutter contre la désertification et l’érosion. Toutefois, sa réussite dépendra fortement de la réussite des opérations de suivi, comme la protection et l’irrigation, afin d’assurer la survie des jeunes arbres.
Le succès de cette journée repose sur une organisation minutieuse permettant de coordonner l’ensemble des participants et des moyens (plants, outils, sites de plantation) sur l’ensemble du territoire. Notons que la décision d’impliquer d’autres secteurs, comme le ministère de la Poste et des Télécommunications et des TIC, ainsi que le ministère de la Communication, s’est avérée très performante, car cette approche innovante a permis de maintenir un niveau très élevé de transparence et de partage d’informations au sein de la communauté algérienne et entre toutes les parties prenantes de l’intervention. Il convient de souligner que le slogan «Khedra bi id ni Allah», simple et percutant, a suscité l’engouement de tous les Algériens sur les réseaux sociaux. Cette vision, qui consiste à se concentrer sur des approches centrées sur les communautés, est bénéfique pour créer des emplois verts.
Cette initiative est louable, car elle répond à des enjeux majeurs en Algérie, comme le renforcement du couvert forestier, la prévention de l’érosion et la lutte contre la désertification. Il est toutefois à noter que la plantation n’est qu’une première étape. Pour garantir le succès écologique à long terme de l’opération, il est impératif que les arbres plantés soient correctement entretenus par la suite.
La mise en place d’un système d’irrigation régulier et de mesures de protection contre le pâturage est cruciale pour assurer la survie des jeunes plants dans un environnement potentiellement hostile.
L’Algérie n’est pas le premier pays à relever un tel défi. En 2019, l’Éthiopie a affirmé avoir planté 350 millions d’arbres en une journée et des initiatives similaires ont été lancées dans d’autres régions, comme en Afrique du Sud en 2025, ou par l’association irlandaise Trees on the Land. Ces précédents montrent que le concept est envisageable, mais qu’il nécessite une organisation exceptionnelle et soulèvent des questions quant à la méthodologie et aux résultats finaux.

Quelles retombées environnementales attendez-vous de cette opération à moyen et long terme ?
À moyen et long terme, cette opération de plantation devrait renforcer le couvert végétal et contribuer à la lutte contre le changement climatique en séquestrant le carbone. D’autres retombées positives incluent la protection contre l’érosion et la désertification, particulièrement importante en Algérie où plus de 80 % des terres sont désertiques ou arides, ainsi que le soutien à la biodiversité et à la santé publique.
L’impact à long terme dépendra de la pérennité de ces mesures de suivi, qui conditionneront la reconstitution effective du patrimoine forestier. Un suivi et un entretien à long terme sont donc essentiels pour garantir la réussite de l’opération, ainsi que l’implication de la population et des agriculteurs dans les efforts de conservation. Pour maximiser les bénéfices écologiques, il est essentiel aussi de privilégier des espèces locales et variées plutôt qu’une monoculture. Cela permet de soutenir la biodiversité locale et de garantir une meilleure résilience face aux maladies et aux changements climatiques.
Bien que les bénéfices de cette initiative, organisée en partenariat avec l’association «Algérie Verte», ne soient mesurables qu’à long terme, elle mobilise les citoyens, les entreprises et les institutions à travers les 58 wilayas du pays pour renforcer la résilience des écosystèmes et lutter contre le changement climatique. Un million d’arbres matures peuvent en effet absorber des dizaines de milliers de tonnes de CO₂ par an, contribuant ainsi à la séquestration du carbone, ce qui permet d’atténuer les effets du changement climatique.

Certains experts estiment que « planter ne suffit pas, il faut entretenir ». Comment les instances concernées et la société civile en général doivent-elles s’assurer que cette campagne ne soit pas qu’un symbole ponctuel ?
L’initiative « Khedra bi id ni Allah », lancée par le gouvernement, a défini une vision très ambitieuse : verdir des hectares de terres dégradées grâce à un ensemble d’activités axées sur la restauration forestière, les pratiques agricoles régénératrices et la création d’emplois verts. L’objectif est d’atteindre, d’ici 2030, une mise en œuvre à l’échelle du pays de ces initiatives de restauration nécessaires.
Cette journée souligne l’importance des opportunités d’investissement et pourrait déboucher sur un scénario « gagnant-gagnant-gagnant » pour la nature, les communautés et les investisseurs du secteur privé. Ce projet ambitieux a également démontré qu’il existe des initiatives prêtes à accueillir des investisseurs dans le pays et à encourager la population à envisager des travaux de restauration favorisant la séquestration du carbone, compte tenu des avantages sociaux, économiques et environnementaux considérables découlant de la mise en place d’un marché du carbone florissant.
Pour assurer la pérennité de l’action, les autorités et la société civile doivent collaborer pour préparer les sites, assurer un suivi à long terme et intégrer la campagne dans une stratégie nationale durable. Cela implique de mettre en place des systèmes de suivi et d’entretien réguliers (irrigation, protection contre le pâturage), d’encourager la participation de tous (citoyens, élèves, entreprises) et de dépasser le simple geste symbolique en l’inscrivant dans un plan de gestion écologique cohérent.

L’Algérie fait face à une avancée préoccupante du désert. Le reboisement est-il une solution suffisante ?
Le reboisement est une solution importante, mais qui reste insuffisante pour lutter contre la désertification en Algérie. Il doit s’accompagner de stratégies plus larges, incluant des politiques agricoles cohérentes, une gestion durable de l’eau, la prévention des incendies et le soutien des populations locales, afin de garantir la survie des arbres plantés. Le climat aride et la rareté de l’eau constituent des obstacles majeurs qui nécessitent des solutions d’irrigation adéquates et des stratégies d’adaptation pour permettre aux arbres de survivre.

Le changement climatique accentue les pressions sur l’eau et l’agriculture. Comment le secteur agricole peut-il s’adapter durablement ?
Le secteur agricole peut s’adapter durablement au changement climatique en combinant plusieurs stratégies, telles que l’amélioration des pratiques agricoles, la diversification des cultures, l’optimisation de l’utilisation de l’eau et l’intégration d’arbres dans les systèmes de production (agroforesterie). Ces méthodes permettent de renforcer la résilience des exploitations face aux sécheresses et aux événements climatiques extrêmes.
Par exemple, pour optimiser l’usage de l’eau, il est possible d’utiliser des systèmes d’irrigation économes en eau qui apportent l’eau directement aux racines des plantes. On peut également récupérer les eaux de pluie et adopter des pratiques qui réduisent l’évaporation, comme le paillage.
Il est également essentiel de soutenir l’innovation, la recherche et le développement, en impliquant les unités de recherche universitaires pour identifier de nouvelles variétés résistantes et des techniques agricoles plus résilientes, mais aussi en formant et en sensibilisant les différents acteurs aux nouvelles pratiques et technologies.

Quels indicateurs permettraient de mesurer le succès ou l’impact réel de cette initiative sur le long terme ?
Pour évaluer l’impact à long terme de cette initiative, il convient de se concentrer sur des indicateurs tels que le taux de survie des arbres, leur croissance, les bénéfices environnementaux mesurables et l’implication citoyenne continue. Des indicateurs de réussite incluent également le respect des objectifs de suivi et l’intégration de la plantation dans une stratégie environnementale cohérente.
Des indicateurs environnementaux peuvent être obtenus grâce au renouvellement du couvert végétal et à la mesure de l’augmentation de la surface des forêts, à l’aide d’images satellitaires ou de relevés sur le terrain. On peut estimer le carbone séquestré par les arbres en fonction de leur âge et de leur espèce et suivre la présence et le retour de la faune locale dans les zones reboisées.
Mais aussi des indicateurs d’impact socio-économique, comme la mesure des impacts sur l’emploi local et le développement économique lié au reboisement (par exemple, l’agroforesterie ou l’exploitation durable du bois).

Selon vous, experte renommée en environnement, quelles réformes institutionnelles seraient nécessaires pour donner plus de poids à la politique environnementale nationale ?
Cette initiative, qui a reçu un écho important et a mobilisé la population dans tout le pays, est une réponse aux pertes forestières massives causées par les incendies. Elle s’inscrit dans une stratégie plus large de lutte contre la désertification et de développement durable.
Pour renforcer la politique environnementale nationale, il faudrait mettre en œuvre des réformes institutionnelles qui dépassent le cadre de la simple plantation d’arbres. Celles-ci comprennent l’intégration de la politique environnementale à tous les niveaux de l’État, le renforcement des institutions existantes et l’élaboration d’une stratégie à long terme associant tous les acteurs du développement durable, y compris les agriculteurs, les entreprises, les écoles et la société civile. En effet, la réussite à long terme dépendra de la mobilisation de tous.
Des mécanismes de participation et de concertation doivent être mis en place pour permettre à la société civile de s’approprier les politiques environnementales. Il faut également mettre en œuvre des systèmes de suivi et d’évaluation rigoureux pour évaluer l’impact réel des politiques environnementales, y compris le taux de survie des arbres plantés. Ces données permettront d’ajuster les stratégies en cours de route.
Ch. M.

ALGER 16 DZ

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Next Post

Campagne nationale de plantation d’un million d'arbres : Coup d’envoi depuis la wilaya de Tizi Ouzou

sam Oct 25 , 2025
Depuis la wilaya de Tizi Ouzou, le ministre de l’Agriculture, du Développement rural et de la Pêche, Yacine El Mahdi Oualid, accompagné du ministre de la Jeunesse chargé du Conseil supérieur de la jeunesse, Mustapha Hidaoui, a donné, hier, le coup d’envoi de la campagne de plantation d’un million d’arbres. […]

You May Like

Alger 16

Le quotidien du grand public

Édité par: Sarl bma.com

Adresse: 26 rue Mohamed El Ayachi Belouizdad

Adresse du journal: 5-7 Rue Sacré-coeur Alger Centre

E-mail:alger16bma@gmail.com

Numéro de téléphone: 021 64 69 37