Dans un passage dans une émission de télévision française, l’historien et professeur Benjamin Stora a apporté des éclairages précieux sur les relations algéro-françaises et les tensions mémorielles qui continuent de marquer les deux nations.

Cet épisode, intitulé “Algérie – France : la guerre sans fin ?”, a permis de revisiter les enjeux historiques et contemporains de cette relation complexe, sur fond de crises diplomatiques, de débats identitaires et de fractures mémorielles.
Cette déclaration intervient dans un contexte où Boualem Sansal a suscité une vive controverse en remettant en question la souveraineté algérienne sur son territoire, provoquant un tollé en Algérie et alimentant les débats autour de l’identité et de la mémoire nationale.
La mémoire algérienne : un enjeu identitaire et historique
Intervenant sur les propos controversés de l’écrivain algérien Boualem Sansal, Benjamin Stora a rappelé l’importance cruciale de l’Ouest algérien dans l’histoire nationale. « Dire que l’Ouest algérien ne représente rien, est extraordinaire de la part de Sansal », a-t-il déclaré, en insistant sur la portée symbolique de figures emblématiques comme l’Émir Abdelkader, originaire de Mascara, ou Messali Hadj, père du nationalisme algérien, né à Tlemcen. « Comment peut-on ignorer ce qu’ils représentent pour les Algériens ? », a-t-il ajouté, soulignant que réduire cette région à un “non-lieu historique” était inconcevable.
Stora a également mis en avant le poids persistant de la guerre de libération dans l’imaginaire collectif algérien. Selon lui, cette mémoire, qui fonde à la fois la légitimité nationale et étatique, continue de percuter les souvenirs douloureux de la guerre civile des années 1990. «Ces blessures ne peuvent être apaisées par un simple discours. Il faut un travail pédagogique lent, patient, et méthodique, qui se heurte à d’énormes obstacles mémoriels», a-t-il déclaré.
Le conflit du Sahara occidental
Interrogé sur les récentes déclarations d’Emmanuel Macron concernant la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, Stora a replacé ce conflit dans son contexte historique. Il a rappelé qu’en 1975, à la suite du retrait espagnol, le Sahara occidental entamait un processus de décolonisation, laissant aux Sahraouis le choix entre l’indépendance ou l’intégration au Maroc. La Marche Verte, initiée par Hassan II, a marqué le début d’un conflit vieux de plusieurs décennies.
«Ce conflit oppose un Maroc revendiquant son appartenance historique au royaume chérifien et une Algérie qui soutient le mouvement indépendantiste sahraoui. La France, longtemps dans une position d’équilibre, a vu cette posture rompue avec sa déclaration récente», a expliqué Stora.
Il a aussi mis en lumière le lien entre cette crise régionale et les tensions algéro-françaises, rappelant que les mémoires conflictuelles viennent régulièrement raviver les blessures historiques entre les deux pays.
Benjamin Stora a salué le travail des historiens algériens, tels que Mohamed Harbi, pour leur contribution à la déconstruction des récits historiques classiques. Cependant, il a déploré que la commission mixte franco-algérienne d’historiens ait été stoppée net par des interférences politiques et diplomatiques. «Ce travail mémoriel, interrompu, demeure indispensable pour dépasser les fractures héritées de l’histoire», a-t-il affirmé.
M. Stora a également évoqué ses propres expériences personnelles liées aux tensions algéro-françaises. Contraint de quitter la France en 1995 sous la menace des islamistes, il a vécu au Vietnam pendant plusieurs années avec sa famille, a-t-il expliqué. Malgré ces épreuves, il n’a jamais cessé de travailler, convaincu que les nouvelles générations ont besoin de connaître et de comprendre les multiples facettes de cette histoire complexe.
Entre mémoire et réconciliation : un chemin semé d’embûches
Les déclarations de Benjamin Stora soulignent l’urgence d’un dialogue sincère et d’un travail collectif sur la mémoire, non seulement pour apaiser les tensions entre la France et l’Algérie, mais aussi pour répondre aux attentes des nouvelles générations. Toutefois, les enjeux restent considérables dans des sociétés marquées par l’autoritarisme et des interférences constantes entre mémoire et politique.
À travers ses propos, Stora a rappelé que la réconciliation passe par un effort conjoint pour surmonter les blessures du passé. Mais cet effort, loin d’être simple, exige une volonté politique, un engagement des intellectuels et une pédagogie de la patience à la hauteur des défis que représentent ces mémoires fracturées.