
Il y a des soirs où le football cesse d’être un simple jeu pour devenir une épopée. Samedi soir, le Vélodrome, ce volcan du Sud, s’est embrasé comme aux plus belles heures du club.
Marseille a terrassé Le Havre (6-2) dans une rencontre qui restera comme un chapitre d’anthologie de la Ligue 1. Mais au-delà du score, c’est le nom d’un homme qu’on retiendra : Mason Greenwood, auteur d’un quadruplé d’anthologie. Une performance qui renvoie trente-quatre ans en arrière, à l’époque bénie d’un autre monument : Jean-Pierre Papin. C’est lors d’un soir glacial de janvier 1991 que Jean-Pierre Papin crucifiait Lyon d’un quadruplé (7-0). Depuis, aucun autre Olympien n’avait su rééditer cet exploit. Trente-quatre ans plus tard, Greenwood vient de briser le sceau du temps. Ce parallèle entre deux époques, deux footballs, donne à cette performance une saveur mythique. Papin, symbole d’un OM conquérant et flamboyant, avait incarné la rage de vaincre d’une génération. Greenwood, lui, incarne la renaissance d’un club en quête de grandeur.
Car, en effet, samedi dernier, l’Anglais a brillé. Tout a commencé à la 35e minute, sur un penalty parfaitement exécuté, après l’expulsion de Gautier Lloris. Puis vint la tempête : trois buts en neuf minutes (67e, 72e, 76e). Le public ne comprenait plus, les Havrais non plus. Greenwood, lui, semblait jouer dans une autre dimension. Frappe du gauche, contrôle orienté, tir croisé, finition clinique du droit : un récital technique et mental, une partition d’artiste dans un Vélodrome en transe.
« Je suis sur la Lune, je n’ai jamais mis de triplé, alors quatre buts… Je suis très heureux ce soir », lâchait-il, visiblement ému, à la fin du match. Dans ses yeux brillait cette lueur rare qu’ont les grands joueurs quand ils savent qu’ils viennent d’écrire l’histoire.
Les statistiques du promu de Manchester United donnent le vertige : 7 buts et 4 passes décisives en 8 matchs de Ligue 1, soit une implication directe toutes les 48 minutes. Son efficacité est chirurgicale : près de 60 % de ses tirs cadrés finissent au fond des filets, un taux digne des plus grands.
Mais au-delà des chiffres, c’est son influence globale qui impressionne. Greenwood n’est plus seulement un buteur : c’est un créateur, un accélérateur de jeu, un joueur total. Avec près de 3 passes clés par match et plus de 80 % de passes réussies, il redéfinit le profil de l’attaquant moderne.
De Zerbi, le sculpteur de génie
Si Greenwood brille aujourd’hui comme un diamant bien taillé, c’est que Roberto De Zerbi a su trouver le bon angle de taille. Le technicien italien, exigeant et visionnaire, a entrepris un travail de transformation rare. Il ne voulait pas seulement un buteur, mais un leader, un joueur total. « Je veux qu’il devienne un joueur complet, comme les grands d’Europe », affirmait De Zerbi avant la saison. Et le message est passé. L’Anglais a ajouté à son jeu ce supplément d’âme : le pressing, les courses défensives, la combativité. Lors du Classique contre le PSG, il s’était déjà illustré par une intensité de tous les instants, harcelant les défenseurs, coupant les lignes, se sacrifiant pour l’équipe.
Sous la houlette du maître italien, Greenwood a cessé d’être un talent prometteur : il est devenu une certitude, une arme absolue.
L’OM rêve de grandeur retrouvée
Ce quadruplé n’a pas seulement offert la victoire : il a propulsé l’Olympique de Marseille en tête de la Ligue 1, un point devant le PSG. Cinq victoires consécutives, une attaque de feu (24 buts en huit matchs), un collectif enfin cohérent — De Zerbi a rendu au Vélodrome ses soirs de fièvre et d’espérance.
L’OM n’a plus été sacré champion depuis 2010. Quinze ans d’attente, de désillusions, de frustrations. Mais cette saison, le rêve semble à nouveau possible. Le message envoyé au reste de la France est limpide : Marseille n’attend plus personne. Marseille attaque.
Le calendrier s’annonce périlleux : déplacement au Sporting Lisbonne en Ligue des champions, puis choc face à Lens. Mais qu’importe. Avec un Greenwood incandescent, un De Zerbi inspiré et un Vélodrome en fusion, tout semble désormais possible. Car oui, à 24 ans, Mason Greenwood a déjà tout d’un joueur à part. Son quadruplé restera dans la mémoire du peuple marseillais comme un moment suspendu, un instant de grâce pure. Ce soir-là, il n’était plus un joueur anglais en exil, mais un Phocéen d’adoption, un héros moderne à qui la ville a offert son cœur.
Marseille, ce port où se croisent les destins, tient peut-être son nouveau roi.
Et si le football a une poésie, elle s’écrit parfois en quatre vers, sous les projecteurs d’un Vélodrome en feu.
G. Salah Eddine