
À Paris, la tension est presque palpable. Dans les couloirs de Matignon, la gravité s’est installée comme un parfum lourd et persistant. Moins d’une semaine après la démission express de son premier cabinet, Sébastien Lecornu est de retour, reconduit à la hâte par un Emmanuel Macron acculé, qui parie encore sur la stabilité pour masquer la fragilité.
Mais dans une France où chaque remaniement ressemble à une survie, le gouvernement Lecornu II entre en fonction sous la menace immédiate d’une double censure et dans un climat de défiance généralisée.
Ce n’est plus une crise politique : c’est un vertige démocratique.
La scène a tout d’un paradoxe : démissionnaire il y a une semaine, reconduit trois jours plus tard, Lecornu incarne l’obsession macronienne du « maintien coûte que coûte ».
Le Président a choisi la continuité pour conjurer le chaos.
Mais ce choix, loin d’apaiser, révèle une forme d’épuisement du pouvoir : le retour d’un homme avant même qu’il n’ait eu le temps de gouverner.
Le gouvernement formé dimanche soir compte trente-quatre ministres, dont huit issus de la société civile, dans une tentative d’ouverture symbolique.
Les figures les plus polarisantes ont été écartées, à commencer par Bruno Retailleau, ex-ministre de l’Intérieur et président des Républicains, dont l’extrémisme avait fracturé la majorité.
Mais cette épuration politique n’a pas suffi à redonner confiance : la recomposition ressemble moins à une renaissance qu’à une réanimation d’urgence.
UN CONSEIL DES MINISTRES SOUS TENSION
Dans ce contexte donc, hier après-midi, le premier Conseil des ministres du gouvernement Lecornu II s’est ouvert dans une atmosphère de tension feutrée.
Sur la table : le budget 2026, pierre angulaire du nouveau mandat.
Ce texte, décrit par la porte-parole Maud Brégeon comme « un choix de protection des Français, de maîtrise des dépenses sans abîmer les services publics », se veut à la fois social et prudent.
Il mettra « à contribution les grandes entreprises et les plus fortunés, tout en soutenant la croissance et l’emploi ».
Mais derrière les mots policés, l’exécutif le sait : il joue sa survie.
Deux motions de censure — déposées par La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon et par le Rassemblement national de Jordan Bardella — menacent de faire tomber un gouvernement qui n’a pas encore eu le temps d’exister.
Dans les rangs de la majorité, on ne parle plus de gouverner, mais de « tenir ».
Dans ceux de l’opposition, on rêve déjà de dissolution.
La France avance sur une corde raide.
PAS ENCORE UNE CRISE DE RÉGIME ?
Au sortir du Conseil, Emmanuel Macron a livré une phrase lourde de sens :
« Les motions de censure sont des motions de dissolution. »
Un avertissement, mais aussi une confession.
Le Président français ne cherche plus à convaincre : il avertit, comme s’il s’adressait à un pays qu’il ne parvient plus à comprendre.
La cinquième République, bâtie pour protéger le pouvoir exécutif, se découvre aujourd’hui vulnérable à ses propres mécanismes.
L’Élysée parle encore de « crise politique, mais pas de crise de régime ».
Un euphémisme qui peine à masquer l’évidence : les institutions tiennent, mais l’esprit républicain vacille.
L’Assemblée nationale n’est plus un lieu de débat, mais un champ de bataille où l’on joue la survie des gouvernements à coups de motions.
Dans ce vide politique, l’opposition sent le sang. Jean-Luc Mélenchon a juré sur les réseaux sociaux que le gouvernement « va évidemment tomber », promettant une majorité pour la censure.
À l’extrême droite, Jordan Bardella réclame déjà la dissolution de l’Assemblée, persuadé que le pays est prêt à donner les clés du pouvoir au RN.
Même les socialistes, sur lesquels Lecornu espère s’appuyer pour sauver sa majorité relative, hésitent : collaborer avec l’exécutif, ou se démarquer d’un régime à bout de souffle ?
Jeudi matin, à 9 heures précises, le vote aura lieu. Et cette fois, le résultat pourrait sceller plus qu’un simple épisode politique : il pourrait rouvrir la question de la légitimité même du pouvoir présidentiel.
Face à la tempête Lecornu adopte un ton grave. Il reconnaît que la France traverse une période « qui sidère une partie de nos concitoyens et une partie du monde ».
Ses mots sonnent justes.
Le Premier ministre sait qu’il ne dispose pas d’un mandat de conquête, mais d’une mission de sauvetage.
Son cabinet — alliance improbable entre technocrates, modérés et quelques figures venues d’horizons divergents — se veut un rempart contre le chaos.
Mais c’est un rempart fissuré avant même la première bataille.
Le Premier ministre a promis un gouvernement « capable de bouger, mais qui ne fera pas n’importe quoi ».
La formule traduit bien l’état du pays : entre mouvement et paralysie, entre prudence et résignation.
La politique française est devenue une mécanique d’équilibre, où l’audace est suspecte et l’immobilisme, un réflexe de survie.
ENTRE RECOMPOSITION ET IMPLOSION
Derrière le théâtre parlementaire, c’est une recomposition historique qui se joue.
Le Macronisme, ce centrisme réformateur né en 2017 sur les ruines du vieux bipartisme, s’éteint lentement, emporté par la défiance et la lassitude.
L’espace politique se reconfigure : à gauche, LFI s’impose comme le moteur d’une opposition sociale ; à droite, le RN s’installe comme force d’alternance.
Entre les deux, le camp présidentiel se rétrécit, prisonnier de son propre discours de stabilité.
Sébastien Lecornu, fidèle parmi les fidèles, tente de sauver ce qu’il reste de l’héritage macronien : l’idée qu’un compromis reste possible dans un pays qui ne croit plus ni au centre ni au consensus.
Mais le centre, en France, ressemble désormais à un champ de ruines.
Ce qui se joue aujourd’hui dépasse la simple survie d’un gouvernement.
C’est une bataille pour la respiration démocratique d’un pays étouffé par ses divisions.
Chaque crise, chaque remaniement, chaque motion de censure semble rapprocher un peu plus la France d’une vérité dérangeante :
la Ve République, jadis modèle de stabilité, est devenue une machine à produire de l’instabilité.
Macron gagne du temps, Lecornu gagne des heures, et la France, elle, n’en peut plus.
Le pays ne croit plus aux grands discours, mais il guette encore le frémissement d’un cap, d’une vision, d’un souffle politique capable de le tirer de l’asphyxie.
Pour l’heure, le gouvernement Lecornu II n’a pas encore tranché entre gouverner et survivre.
Mais une chose est sûre : la France, elle, n’attendra pas indéfiniment.
G. Salah Eddine