
Reportage réalisé par G. Salah Eddine et Ammour Ryad
À l’aube du mois sacré, les souks d’Alger-Centre s’animent d’une effervescence particulière. Dès les premiers jours de Ramadan, une équipe de journalistes du Quotidien Alger16 s’est rendue sur le terrain pour mesurer l’impact de la hausse des prix sur le quotidien des Algérois. Entre flambée des tarifs et inquiétudes des consommateurs, l’ambiance oscille entre résignation et frustration.
Des prix qui inquiètent les ménages
Note périple commence au cœur du marché Ferhat- Bousaad (Meissonnier), où les étals regorgent de fruits et légumes fraîchement disposés, l’agitation est palpable. La frénésie des achats continue, rythmée par les appels des marchands et le ballet incessant des clients cherchant le meilleur compromis entre qualité et prix.
Les vendeurs s’affairent à attirer la clientèle tandis que les acheteurs scrutent avec attention les prix affichés, souvent bien plus élevés qu’espéré.
Nous interpellons Samira, mère de famille venue faire ses courses pour préparer le ftour du Ramadan :
«Chaque année, c’est la même chose ! Les prix s’envolent dès l’approche du mois sacré. Cette année encore, les prix sont similaires à celle de l’année dernière. »
Le constat est partagé par Ahmed, un retraité qui fait la queue devant un marchand de légumes :
«Avant, avec 2 000 dinars, je pouvais remplir mon couffin. Aujourd’hui, c’est à peine si je peux acheter quelques fruits et légumes.»
À quelques pas de là, un vendeur de fruits tente de justifier cette hausse des prix :
«Nous achetons déjà les produits à un prix élevé chez les grossistes. Tout a augmenté : le transport, les engrais, et même l’électricité des chambres froides.»
Légumes : entre hausse et stabilité
Sur les étals, les légumes essentiels à la préparation des soupes et plats traditionnels affichent des tarifs variables. La carotte et la tomate oscillent entre 100 et 120 DA le kilo, un prix jugé élevé par certains clients, mais qui reste stable par rapport aux années précédentes.
En revanche, la courgette, très prisée pour la chorba, grimpe à 180 DA le kilo, tout comme le concombre, affiché entre 150 et 180 DA. Même constat pour la salade, indispensable pour accompagner les repas, qui se vend entre 120 et 180 DA.
L’ognon, élément de base de la cuisine algérienne, reste relativement abordable, variant entre 50 et 100 DA selon la qualité, le lieu de vente et l’origine du produit.
Les aubergines, prisées pour les fritures et tajines, atteignent 200 DA le kilo, un tarif qui dissuade certains clients.
Quant aux artichauts, ils sont affichés à 160 DA, un prix jugé correct par rapport à d’autres produits.
Une situation similaire pour les fruits
Du côté des fruits, et à une centaine de mètres de là au marché Khelifa Boukhalfa (Clauzel), la situation est à peu près similaire. Le citron, dont la demande explose en période de Ramadan, se vend entre 100 et 150 DA le kilo. Les oranges, pourtant abondantes en cette saison, varient entre 100 et 230 DA, tandis que les clémentines atteignent des sommets avec des prix allant de 200 à 320 DA.
La banane, considérée comme un produit de luxe ces dernières années, reste hors de portée pour de nombreux ménages, affichée entre 500 et 580 DA le kilo. Pour les amateurs de fruits rouges, la fraise oscille entre 300 et 400 DA le kilo, un luxe que peu peuvent se permettre. Des barquettes de 500 grammes sont disponibles à 200 DA
Enfin, les dattes, élément incontournable des tables ramadanesques, affichent des écarts impressionnants selon la qualité : de 500 à 900 DA le kilo pour les variétés les plus prisées.
Les œufs et la volaille… un point positif
Si plusieurs produits alimentaires voient leurs prix grimper, les œufs font figure d’exception avec une baisse notable qui soulage de nombreux ménages. L’année dernière, l’unité se vendait à environ 23 DA, soit un prix total oscillant entre 600 et 630 DA pour une plaquette de 30 œufs.
Aujourd’hui, ces prix ont chuté : la même plaquette est désormais proposée entre 420 et 480 DA, avec une unité vendue à 17 DA en moyenne. Ce produit à large consommation est donc à un prix raisonnable même durant le mois du Ramadan. Notons que le prix de l’avant Ramadan était le même. Donc les œufs n’ont pas augmenté durant le mois sacré.
Une autre note positive se dessine du côté de la viande blanche : les prix de la volaille connaissent une nette baisse par rapport à l’année dernière. Le poulet entier est désormais vendu à 400 DA le kilogramme, bien en dessous des 600 DA pratiqués l’an passé.
Cependant, lorsqu’il s’agit d’acheter des parties spécifiques, comme les cuisses uniquement, le prix grimpe à 540 DA le kilogramme, une différence qui pousse certains consommateurs à opter pour l’achat du poulet entier.
Dans les marchés, la volaille se vend très bien, et la clientèle semble relativement satisfaite.
La viande divise toujours
La question de la viande est devenue un véritable sujet de débats entre les citoyens. Depuis trois ans, les prix des viandes locales n’ont cessé d’augmenter. Face à cette flambée qui menace le pouvoir d’achat des citoyens, particulièrement pendant le Ramadan, l’État a dû ouvrir la porte à l’importation de viandes étrangères.
En effet, les prix des viandes rouges algériennes demeurent chers. En ce début de Ramadan, le bœuf local se vend entre 2 400 et 2 600 DA/kg, tandis que l’agneau dépasse les 3 300 DA/kg et atteint parfois les 4 000 DA/kg dans certaines boucheries. Des prix qui, malheureusement, risquent de se maintenir après le Ramadan, voire d’augmenter à l’approche de l’Aïd el-Adha, période de forte demande.
Malgré ces tarifs exorbitants, de nombreux Algériens continuent d’acheter exclusivement de la viande locale, invoquant une qualité supérieure et une méfiance envers les viandes importées. Certains expriment des réserves sur les conditions d’élevage et d’abattage à l’étranger, tandis que d’autres privilégient, par principe, les produits du pays natal.
Face à la montée en flèche des prix, le gouvernement a mis en place une politique d’importation, visant à stabiliser le marché et à offrir une alternative plus abordable aux citoyens. Deux principaux pays fournissent actuellement la viande rouge en Algérie : L’Espagne, pays voisin, et le Brésil, une source plus lointaine mais proposant des prix plus compétitifs.
La viande espagnole a su séduire une large part des consommateurs, notamment grâce à son équilibre entre qualité et prix. Le bœuf espagnol se vend entre 1 400 et 1 600 DA/kg, soit près de 1 000 DA de moins que la viande locale. L’agneau espagnol, en revanche, reste plus onéreux, avec un prix compris entre 2 400 et 2 600 DA/kg. Malgré tout, la différence avec la viande locale est conséquente, ce qui explique l’attrait croissant pour cette alternative.
Sarah, une mère de famille rencontrée sur le marché, témoigne :
«J’étais réticente au début, mais après avoir testé la viande espagnole, je suis convaincue. Elle est tendre, savoureuse et parfaite pour les plats du Ramadan.»
Quant à la viande brésilienne, elle se positionne comme l’option la plus économique. Le bœuf importé du Brésil est vendu entre 900 et 1 200 DA/kg, tandis que l’agneau oscille entre 1 500 et 1 800 DA/kg. Toutefois, cette viande n’est pas disponible dans toutes les boucheries, et sa réputation auprès des consommateurs est plus mitigée. Beaucoup lui reprochent une qualité inférieure par rapport à la viande espagnole ou locale, ce qui explique une demande plus limitée.
Malgré les tensions sur les prix, la consommation de viande reste impressionnante en ce début de Ramadan. Dans toutes les boucheries visitées par notre équipe, une grande affluence a été observée. Cette ruée vers la viande s’explique par le contexte spécifique du Ramadan, une période où les Algériens dépensent en moyenne deux à trois fois plus pour leur alimentation.
Les prix des viandes similaires à ceux de 2024
On vend énormément, toutes viandes confondues. Même ceux qui trouvent les prix trop élevés finissent par acheter». Il a ajouté : «La viande espagnole est particulièrement prisé». Fait notable, les prix des viandes sont restés globalement similaires à ceux du Ramadan 2024. Aucune hausse significative n’a été constatée, mais aucune baisse non plus, ce qui renforce la frustration des consommateurs qui espéraient un allègement des tarifs.
On a constaté au final que parmi tous les aliments, la viande semble être le sujet et la préoccupation principale des consommateurs. Le marché de la viande reste fortement divisé entre les consommateurs qui privilégient la qualité de la viande locale et ceux qui cherchent des alternatives plus abordables à travers l’importation. Si la viande espagnole a conquis une partie du marché, la viande brésilienne reste en retrait malgré son prix attractif.
À l’approche de l’Aïd el-Adha, les préoccupations demeurent quant à une nouvelle flambée des prix, surtout pour l’agneau. Pour l’instant, la stratégie d’importation semble avoir permis de stabiliser le marché, mais la baisse des prix des viandes locales semble être une priorité.
L’essence du ramadan demeure intacte
Alors que les prix grimpent et que les contraintes économiques se font sentir, les familles s’adaptent, jonglant entre prudence budgétaire et traditions bien ancrées. Cela, on l’a bien constaté durant notre périple. Mais au-delà des chiffres et des dépenses, une autre réalité s’est démarquée dans notre esprit : l’essence même du Ramadan demeure intacte. Ce mois sacré transcende les préoccupations matérielles pour rappeler à chacun l’importance du partage, de la solidarité et du renouveau spirituel.
Dans chaque foyer, la préparation du ftour devient un rituel empreint de convivialité, où parents, enfants et grands-parents se retrouvent autour de plats préparés avec amour. Chaque repas partagé, chaque main tendue vers un voisin dans le besoin, vers un pauvre, chaque sourire échangé renforcent ces liens qui font la richesse de ce mois béni.
Car si les temps sont durs, c’est ensemble que les familles trouvent la force d’avancer, en préservant l’esprit de générosité qui fait la grandeur du Ramadan.
G. S. E. et A. Ryad